Voilà déjà une dizaine de jours que nous sommes à Phnom Penh. La ville refuse tout bonnement de nous laisser partir ! Notre séjour dans la capitale cambodgienne nous laissera un souvenir doux-amer et contrasté. Entre les bons moments passés avec nos amis français expatriés, la lutte contre le vilain microbe de la salmonellose, la longue attente pour obtenir notre visa vietnamien, les bons petits plats dégustés, et la visite bouleversante de S21, la tristement célèbre prison des Khmers Rouges… Nous qui venons de traverser la cambrousse cambodgienne à pied entre Kratie et la capitale, nous trouvons Phnom-Penh riche et passionnante, mais manquant tout de même un peu de nature. Heureusement nous découvrons à deux pas les îles de la soie, havre de paix parfait pour s’échapper un instant des rues bruyantes de la capitale !
Kho Dach et Kho Oknha Tei : les îles de la soie
Nous louons un scooter pour la journée afin d’explorer ces deux îles intrigantes. Rétrospectivement, il aurait sans doute été également sympa de faire la balade à vélo (ou même à cheval !) pour faire durer le plaisir plusieurs jours. Nous nous rendons sur la rive gauche du Mékong sous un beau grand soleil d’hiver khmer pour emprunter le bac local qui nous mènera sur Kho Dach, la plus grande des deux îles. Nous nous dirigeons d’abord vers l’extrémité nord de l’île, lieu de détente dominical très prisé des habitants de Phnom-Penh. L’endroit est en effet charmant et sent bon les vacances : une grande langue de sable blanc s’étend devant nous et le bord de l’eau est agrémenté de dizaines de jolies cahutes en bambou montées sur pilotis dans lesquelles les visiteurs se prélassent volontiers en buvant un verre ou en dégustant un bon pique-nique, avant d’aller goûter la fraîcheur bienvenue des eaux calmes du Mékong.
Nous reprenons notre balade tranquillement, nous arrêtant régulièrement pour visiter les artisans talentueux qui ont donné leur renommée aux îles : les tisseuses de la soie ! Les îles résonnent du bruit des métiers à tisser répondant au va et vient hypnotique des navettes colorées. Les ateliers, encore majoritairement non-mécaniques, sont installés à l’ombre de superbes maisons Khmers traditionnelles sur pilotis, devant lesquelles sont souvent étendus de longs écheveaux de soie tout juste teinte. Nous admirons le charme suranné des outils de tissage, construits la plupart du temps avec les moyens du bord. Le rouet, par exemple, emprunte souvent sa roue aux vélos des enfants. Comme de coutume, les Khmers sont adorables et nous nous sentons vraiment les bienvenus alors que nous admirons sans réserve le travail minutieux des souriantes tisserandes !
Nous passons le pont pour atterrir sur Kho Oknha Tei où nous visitons le centre de la soie, qui retrace les différentes étapes de fabrication, et où Mariette, dont les achats compulsifs d’écharpes ne sont plus un secret pour personne, craquera (encore) pour quelques jolies pièces.
Autre côté sympa de la visite des îles : la présence de très jolis temples Khmers perdus au milieu de la végétation. Celui de l’île sud, notamment, nous a tous deux beaucoup plu ! Quelles couleurs superbes !
La marche au Cambodge : suite et fin
Après cette fichue salmonellose (illustrée en BD par Mariette ici), attrapée suite à une ingestion de bacon inopportune, nous sommes tous deux affaiblis, amaigris, fatigués, plus motivés à rien. Misère… Ils sont à deux doigts de la dépression vos deux marchistes ! Avec toutes ces histoires, nous n’avons plus à présent que 6 jours pour atteindre la frontière du Vietnam. Il nous reste à peu près 120km à crapahuter et la distance nous semble tout à coup insurmontable. Nous qui venons de nous taper plus de 1500 bornes à pinces ! C’est un peu fort ! Allons-nous abandonner si près du but ? Finalement, c’est l’amour propre qui l’emporte et un beau matin nous remettons les pieds dans nos godasses pour tailler la route avant que Phnom Penh décide de nous retenir encore un peu plus. Nous traversons le fleuve pour retrouver la pampa de la rive gauche. Allez en avant ! Tout de suite, ça semble plutôt mal engagé. Quentin est toujours un peu patraque et Mariette a de violentes douleurs musculaires dans la hanche droite qui lui arrachent des grognements peu loquaces. Heureusement la douceur des paysages, la gentillesse des habitants et notre volonté légendaire en fer forgé (si si !) nous permettent de continuer à enchaîner les kilomètres.
Nous sommes visiblement dans la saison des mariages et nous en croisons à peu près tous les 3-4 kilomètres. Très codifiées, colorées, kitchissimes, les cérémonies durent deux jours, ravissent les parents et épuisent les pauvres mariés enfardés, qui affichent bien souvent des sourires crispés et de grosses cernes bleues sous leur fond de teint blanc. Les mariages se passent à même la rue, sous d’énormes tentes à fanfreluches, et ont la fâcheuse tendance d’assourdir tous le voisinage dans un rayon de 10km à coup de musique pop. Sans mentir, le volume sonore est tel qu’il nous faut nous boucher les oreilles ! Les festivités commencent bien avant l’aube et nous dormons plutôt mal au fond de notre tente, réveillés tantôt par le grésillement ignoble des haut-parleurs situés à plusieurs kilomètres de là, tantôt par des chiens errants idiots qui paniquent à la vue de notre étrange logis. Autant vous dire que les réveils sont un tantinet difficiles…
Pour ce qui est du camping, l’épisode précédent de notre traversée pédestre du Cambodge nous a appris la manière de faire du pays… Nous sommes désormais prudents, dormant dans les temples ou bien chez l’habitant lorsque ceux-ci nous y invitent. Nous signalons toujours notre présence, conscients que s’il venait à nous arriver quelque chose, le blâme retomberait sur les villageois. Et cela nous embêterait fort…
A mi-parcours, nous faisons étape à Neak Leoung, la seule véritable bourgade des environs. C’est bien là son seul intérêt, et nous ne la recommanderons malheureusement pas pour le tourisme. En revanche, les petits villages que nous traversons sur le bord du grand fleuve sont toujours aussi charmants, et les belles maisons sur pilotis s’alignent les unes derrière les autres. Nous avons conscience que les populations du Mékong, qui ne roulent cependant pas sur l’or, ne sont pas les plus infortunées car elles ont tout de même accès aux richesses naturelles du fleuve prolifique (dont l’avenir est cependant incertain). Depuis quelques temps aussi nous remarquons que le transport fluvial est beaucoup plus développé qu’en amont, et regardons de nombreuses barges chargées jusqu’à la gueule faire des aller-retours sur les eaux, qui sont de plus en plus polluées.
Comme toujours les rencontres sont le cœur de notre voyage, et chaque jour nous réserve son lot de surprises. Comme ce jeune garçon de 10 ans surdoué qui parle anglais couramment et qui donne des cours à l’Université (oui oui oui, carrément !), ce couple de gens adorables qui nous ont fait visiter leur école dominicale gratuite pour enseigner les langues aux enfants du quartier, ce vieux monsieur sénile qui parle encore français et qui appelait Mariette « Madame Marish« , ces petites grand-mères qui faisaient des mines effarées en essayant de soulever nos sacs à dos (mais c’est bien trop lourd !) avant de nous refiler tout leur garde-manger ou encore cet homme qui nous a invités à nous asseoir chez lui et avec qui nous avons échangé comme de vieux amis alors que nous ne parlons pas la même langue et qui tripotait le nez de Quentin parce qu’il le trouvait trop gros ! Il est vraiment étonnant de voir que parfois un lien s’établit si facilement sans partager la même langue, alors que bien souvent nous rencontrons des difficultés à communiquer avec nos pairs, dont on comprend pourtant les mots, mais pas forcément la manière de penser…
Un jour nous avons aussi rencontré cet homme, qui parlait le français fleurit de Flaubert. Il nous a tout raconté : la période de son enfance sous le protectorat français où il étudiait grâce à « l’Éducation Nationale », des travaux pour développer le pays qui se sont arrêtés au début de la guerre, comment il a appris l’anglais dans une base américaine avec les GI, la fierté qu’il a de sa région… Mais de la période des Khmers Rouges, il ne parle pas. Pas un mot. Nous brûlons de poser des questions à ce vieil homme érudit. » Où étais-tu ? », « De quel bord ? », « Comment as-tu survécu ? », » Qu’est-il arrivé à ta famille ? ». Mais nous n’osons pas. Le sujet est tabou. Nous n’arriverons à parler de la folie des Khmers Rouges, de la famine, des meurtres, des exactions, qu’avec les jeunes qui n’ont pas connu cette époque. Le traumatisme chez les anciens est trop intense, les plaies toujours à vif. Des anciens Khmer Rouges, il y en a pourtant encore dans chaque village. Mais malgré nos efforts pour faire abstraction, dès que nous croisons une personne de plus de 40 ans, ces questions reviennent nous hanter. « Et toi, quelle est ton histoire ? ».
Pour nous changer les idées, voilà que nous tombons sur un jour de fête : la danse des lions ! Originaire de Chine, elle fait un tabac au Cambodge et nos réflexions sont interrompues par deux énormes lions rouges, verts et dorés aux yeux hypnotiques, qui se trémoussent au son des tambours. Nous nous mêlons hilares à la foule en liesse. Nous ne nous attendions pas à trouver cela au milieu de la campagne cambodgienne ! Derrière les lions apparaissent soudain des chars enrubannés sur lesquels sont juchés des personnages aux déguisements extravagants. Ils bénissent la foule en les aspergeant d’eau à l’aide d’un rameau ! C’est la fête !
Notre dernière nuit au Cambodge sera un de nos meilleurs souvenirs du pays. Nous sommes invités à passer la nuit chez une famille d’adorables fermiers. Ils nous installent une paillasse au milieu de l’unique pièce de leur maison à pilotis, sur les fines lames du parquet espacées de plusieurs centimètres. Nous y posons la moustiquaire de notre tente, ce qui provoque l’hilarité générale. Les fenêtres de la maison n’ont pas de vitres. Pas besoin, ils vivent dehors, il fait chaud, la maison respire. Il n’y a pas de mobilier, à part une grande penderie vitrée et bien sûr… un poste de télévision ! Nous nous débarbouillons dans leur petite salle de bain sous la maison, à coup de grandes casseroles d’eau sur la tête. Divin ! La grand-mère nous offre le repas, qu’elle a cuit au feu de bois sur le foyer au rez-de-chaussée. Du poisson frit et du riz blanc. Simple et bon. Ces gens n’ont rien. Deux vaches, le fleuve, un toit, un tas de foin. Nous passons la soirée ensemble, avec toute la famille, enfants, parents, grands-parents mais aussi cousins, cousines et quelques voisins. On rigole, on nous met au centre et… on regarde des séries à l’eau de rose à la télé ! Plus tard dans la soirée, on déplie des matelas sur lesquels toute la famille s’entasse et nous voilà bientôt tous propulsés dans les bras de Morphée. Demain, nous franchirons la frontière vietnamienne !
A bientôt !
M. & Mme Shoes
Visages d’Asie
Informations / Bons plans :
Faire une balade à cheval sur les îles de la soie :
- Areyksat equestrian trail ride est un centre équestre tenu par un expat français et proposant des balades dans la région. Possibilité de partir en trek sur plusieurs jours sur les îles de la soie.
Faire son visa Vietnamien à Phnom Penh :
- Évitez l’ambassade, trop loin, trop chère. Des agences de voyage ou auberges de jeunesse présentes un peu partout dans Phnom Penh peuvent s’en charger pour vous à meilleur tarif. Ils envoient votre passeport à Sihanoukville où le tarif est moins élevé (ne demandez pas pourquoi…). Comptez une semaine pour revoir votre passeport avec leur tarif minimum (43$/personne pour 30 jours en mars 2016). Évidemment si vous payez plus cher cela peut aller plus vite.
Si vous souhaitez entrer au Vietnam à une certaine date n’oubliez pas de le préciser au moment de la demande, sinon votre visa sera valide à la date du jour de sa délivrance !
Du rêve, voila un beau rêve quand je vois ce beau reportage encore merci a vous deux.
Merci
encore plein de jolies photos!
j’aime beaucoup le cadavre de machine à laver qui sert de table de coiffeur, et le H&M local 🙂
Ma préféré le petit Homme au chapeau.
Les perches les fils devant le temple KHO OKNHA TEI m’interpelle ? ? ?
Votre tente dans la maison me plait aussi quel accueil ! ! ! ! !
Vos portraits, votre texte,enfin tout! ! ! ! ! !
Courage pour la suite et encore MERCI.
Bonjour les enfants . Il y a du laissé aller dans les reportages mais les photos sont toujours aussi belles surtout celles des enfants et ils ont l’air contents d’aller à l’école ce n’est pas comme les nôtres .
Bises à vous deux .
Je me régale toujours de vos écrits qui nous font vraiment partager un moment de votre voyage, c’est attrayant et bien narré. C’est bien mieux que beaucoup d’articles de certaines revues et je ne m’en lasse pas. Très jolis portraits et visiblement encore de belles rencontres… Vivement la suite…
Plein de bisous…
encore de belles histoires et rencontres et comme Gaultier j’aime bien le H&M local!!!
Quel laisser aller dans les reportages? Je ne trouve pas!…, c’est toujours aussi intéressant!! Et ils ont du mérite les marcheurs… Plus de 1500 bornes à pinces, de la fatigue, des maladies et des kilos en moins (Quentin, retire cette photo avec « ton pote »… tu fais peur!!..) et encore le courage de nous poster des super récits. Moi, je dis « Bravo! »
Ça donne envie d’y aller. Merci pour les conseils au sujet du Visa. C’est bon à savoir. Je voyagerai en autobus ou en train, pas à pied. Mais Bravo à vous deux de l’avoir fait!