Alors que le soleil se lève, brulant, enflammant l’atmosphère dès les premières heures du jour, nous nous élançons d’un pas sûr sur la piste rousse qui longe le Mékong à la sortie de Kratie. Il est temps pour nous reprendre le chemin le long de notre dévoué compagnon de route, vers son embouchure, ce point final qui nous semble si loin encore…
Kratie et Kho Trong
Kratie est une petite bourgade installée paisiblement sur les bords du Mékong dans le nord du Cambodge. Loin des foules de Siem Reap et des envoûtants temples d’Angkor, Kratie est pourtant une étape dans le parcours de quelques touristes désireux de faire une pause sur leur route vers le Laos ou de découvrir les fameux dauphins du Mékong menacés d’extinction et ayant élu domicile quelques kilomètres au nord. Soucieux de leur sort incertain, nous avons choisi de ne pas troubler leur quiétude en refusant de leur rendre visite. A la place nous prenons le bac et louons des vélos pour faire le tour de l’île de Koh Trong qui sépare ici le Mékong en deux. Elle est réputée charmante, champêtre, et représentative de la vie du Mékong au Cambodge. Nous sommes curieux de voir cela, car 350km nous attendent dans ces conditions !
C’est donc sur deux antiques bicyclettes rouillées aux roues voilées faisant entendre des plaintes lancinantes un coup de pédale sur deux que nous nous élançons sur la petite piste bétonnée qui fait le tour de l’île. Quelques guest-houses familiales et traditionnelles jalonnent le parcours, attendant l’arrivée d’éventuels visiteurs. Nous nous laissons charmer par la quiétude et la beauté du lieu. Il faut reconnaitre que l’île est loin, très loin d’être une autoroute à vacanciers. Elle est parfaite pour un séjour paisible et reposant. Sur le fleuve, les pêcheurs remontent leur filets, un fermier baigne ses vaches, et plus au sud un petit village flotte aux milieux des eaux… C’est là que nous nous dirigeons vers la fin d’après-midi. Nous descendons sur la rive, et demandons aux alentours s’il n’y aurait pas moyen de voir les choses d’un peu plus près. Un jeune charpentier des rivières appelle alors son fils, un tout petit gamin brun et pétillant de 10 ans à peine. Il nous rejoint à bord d’une longue barque qui semble bien lourde pour lui. Mais le môme manie l’embarcation d’un coup de rame assuré ! Il nous emmènera au plus près des maisons flottantes et durant une quarantaine de minutes nous admirerons les abords du village, illuminé par les rayons de fin d’après-midi.
En route pour Kampong Cham
Alors que l’aube pointe à peine, nous quittons tranquillement Kratie, avançant pas à pas sur une piste bordée d’habitations sur pilotis, modestes mais charmantes, qui décorent les flancs de la rive gauche du Mékong. La population s’éveille et la vie des villages s’anime peu à peu. Les yeux encore tous collés des villageois ne réalisent pas bien que deux « barangs » (étrangers), cheminent devant le pas de leurs portes ouvertes aux quatre vents. Traverser cette partie du Cambodge à pied, c’est un peu comme se balader dans un écomusée formidable, à l’échelle du Mékong. Tout y est pittoresque et éminemment bucolique. Les machines agricoles en bois aux allures du siècle passé sont disposées savamment le long du chemin. Nous croisons chars à bœufs et carrioles tintinnabulantes, tirées par de jolis petits chevaux khmers à grelots. La moisson est récente et de hautes montagnes de foin odorant s’élèvent de part et d’autre de la piste.
Alors que le superbe environnement est un peu similaire, bien que plus sauvage, à ce que nous avons traversé dans le sud du Laos, le Cambodge nous réserve ici une surprise : nous progressons maintenant au cœur d’une population Cham, une ethnie musulmane présente essentiellement au Cambodge, au centre Vietnam et en Malaisie. Nous croisons donc de magnifiques femmes aux voiles colorés, ainsi que des hommes en robes blanches portant fièrement une fine barbe ainsi qu’un petit calot blanc posé en équilibre sur le haut du crâne. Les mosquées jalonnent le chemin.
Nous nous arrêtons après 27km aux abords d’un de ces petits villages Cham, sur un coin d’herbe plat en terrasse sur le Mékong. Ce sera parfait pour planter la tente et profiter de l’incroyable spectacle qui se joue sur le Mékong tous les soirs : le coucher de soleil !
Mais ce soir la véritable surprise sera Beau. Alors que nous passons les arceaux de la tente nous entendons dans notre dos un « Hello » qui n’a rien d’asiatique. Si nous sommes surpris de trouver ici un occidental, Beau l’est tout autant que nous ! Nous sommes au milieu de nulle part et avons choisi de camper par pur hasard devant sa maison ! Beau vient des USA et s’est installé ici avec sa femme et ses 4 enfants il y a 2 mois de cela.
Il nous invite à venir nous installer chez lui pour la nuit et nous convie par la même occasion à une soirée improvisée pour jouer de la musique et chanter avec quelques uns de ses amis.
Quentin a des étoiles dans les yeux « Coooool, une soirée bœuf ! ». Il se voit déjà balancer un bon blues qui groove et taper l’impro avec une bande d’américains expatriés au fin fond du monde ! Mais lorsque ses amis arrivent, nous réalisons que la situation est tout autre : les femmes sont toutes habillées de grandes et larges jupes avec un fichu sur la tête, un des hommes porte à la main un épais livre orné d’une croix. L’excitation retombe aussi vite qu’elle est montée… Rapidement le petit groupe commence à prier et chanter leur amour pour leur Dieu et débattre de certains passages de la Bible. Nous restons dans notre coin à observer la scène, à écouter, à apprendre… Ils vivent d’amour, d’entraide, de bonnes actions, de joie, se contentent de ce qu’ils ont (peu) et sont particulièrement heureux. Nous passons une longue et riche soirée à échanger avec eux en sirotant des noix de coco. Au matin nous les quittons presque à contre cœur. Merci à vous Beau et Kris, vous êtes des personnes incroyables.
Nous continuons notre avancée dans un enchaînement de petits villages, de champs de riz, de temples et mosquées. Les bouddhistes et les musulmans semblent vivre ici en parfaite harmonie. Quant à nous, nous avons découvert une nouvelle drogue. Nous en avalons des litres et à chaque pause nous nous en faisons un plein ventre : le jus de canne à sucre ! Cette sève sucrée au goût végétal nous donne du baume au cœur, nous aide à supporter la chaleur, nous motive à aller de l’avant. Une véritable potion magique!
Trois jours plus tard, nous voici à présent à Kampong Cham. De la ville et ses environs, nous ne verrons pas grand chose, Quentin restera cloué au lit plusieurs jours avec une vilaine dengue. Impossible de reprendre la route dans cet état. Mais nous aurons tout de même le temps d’aller voir un joli coucher de soleil sur LE pont en bambou : impressionnante construction de 800 mètres de long qui permet de rallier une île. Entièrement construit en bambou (comme son nom l’indique, n’est-ce pas), les véhicules peuvent l’emprunter, et il est démonté chaque année à la saison des pluies pour être reconstruit à la saison sèche. Incroyable !
Objectif Phnom Penh
Depuis Kampong Cham nous repartons sur la route, joyeux, heureux de quitter notre immobilité forcée de ces derniers jours. Hélas, nous déchantons rapidement. Nous avons déjà parcourus 15km de bitume morose lorsque nous découvrons qu’il ne reste rien de la jolie piste que nous étions censés trouver… Elle est en pleine transformation pour devenir une route ! Nous avançons donc dans la poussière et le bruit des engins. Pas très passionnant…
Notre seconde journée sera néanmoins animée par un évènement surprise alors que nous faisons étape dans un temple dont la cour s’étend jusque sur les rives du fleuve. Au fond de cette dernière nous remarquons deux imposants bateaux de croisière de luxe amarrés non loin. Un groupe surgit d’un des bâtiments du temple ! La scène est cocasse. Imaginez : nous sommes au beau milieu d’une allée de statues de fruits et légumes géants en béton, chargés comme des mulets, couverts de sueurs et de poussière et face à nous se trouve une armée d’anciens aux allures de millionnaires en vacances. Un jeune homme au milieu du tas nous salue « Haya goin’ mate ? ». Un australien ! Cookie voyage à bord du The Jahan, le plus gros des deux bateaux. Nous lui racontons notre histoire, la source du Mékong, la descente de la vallée du Mékong au Yunnan, puis le sud du Laos… Il n’en revient pas. Comme il travaille sur le bateau, il négocie pour que nous puissions monter un instant à bord. Nous découvrons en montant sur le pont qu’il s’agit en fait du bateau du National Geographic Expeditions. Grande classe, grand luxe, soucis du détail, ambiance de pionniers du siècle dernier. Tout y est parfait. A 20000$ la cabine en même temps, il vaut mieux… Autour d’un café nous continuons notre discussion en compagnie du médecin du bord et de Stéphane, un belge explorateur, humaniste, écrivain, photographe. Mariette aimerait rester à bord jusqu’à Phnom Penh, mais à l’heure d’appareiller, nous regagnons la terre ferme et reprenons notre marche.
Quelques kilomètres plus loin, nous nous faisons alpaguer en anglais par un jeune homme souriant.
- Aujourd’hui c’est le nouvel an chinois nous explique-t-il, il y a énormément de chinois au Cambodge ou de personnes ayant des origines chinoises, c’est donc une fête importante, la tradition veux que l’on fasse un grand repas de famille ! Venez, je vous invite à déjeuner chez moi !
Voilà comment on se retrouve en 2mn perchés dans une maison sur pilotis, assis par terre au milieu de 15 personnes adorables avec tout autant de plats à engloutir ! C’est donc le ventre plein que nous repartons, en quête d’un petit emplacement pour dormir ce soir. Nous trouvons une parfaite petite terrasse ombragée, plate, avec vue directe sur le fleuve ! Nous demandons la permission de camper aux fermiers les plus proches : permission accordée ! Sitôt sommes-nous assis sur notre petit coin de terre, qu’une trentaine de personnes viennent se faire une séance de white watching. Nous n’avons plus d’espace autour de nous, nous ne pouvons plus respirer, trop de monde, HELP ! C’est une fois la tente installée, la toilette effectuée, et tout le barda prêt pour la nuit qu’un homme débarque pour nous causer en anglais…
- Vous ne devriez pas dormir ici, nous ne sommes pas loin de Phnom Penh, et il y a une augmentation de délinquance ces derniers mois. Trafic de drogues et gangs armés. Il faudrait prévenir la police de votre présence ici, ou au moins le chef du village
Quentin est donc convié illico chez le fermier à un « conseil de sécurité » ! Les membres du conseil évoquent les risques, les derniers évènements dont ils ont entendu parler, les possibles solutions pour nous protéger, mais aussi les junkies et les mauvais effets de la drogue. Marrant pour des mecs tous défoncés à force de mâchouiller de la noix de bétel… Après quelques minutes de délibération, la décision est prise : nous irons chez l’anglophone et dormirons sous son toit ! Pas question de nous laisser dormir dehors en tente. Nous passerons une soirée très instructive à échanger sur la vie rurale, les problèmes de baisse du niveau du Mékong, des poissons qui sont de plus en plus petits, des bateaux vietnamiens qui remontent jusqu’ici pour racler le fond avec des gros filets en toute illégalité, de la sécheresse qui frappe le pays cette année et qui impacte gravement l’irrigation des champs et la production de riz, et des jeunes qui se rapprochent de Phnom Penh dans l’espoir de faire quelques recettes afin de contrer ces malheurs. La vie n’est décidément pas simple au Cambodge. Notre hôte a travaillé pour une ONG, puis dans le tourisme, et rêve maintenant d’ouvrir une école d’anglais dans le but d’offrir plus d’opportunités d’avenir aux jeunes de son village. Une très belle rencontre !
Il nous faudra une journée de plus pour atteindre le carrefour qui relie l’autoroute. Une journée de plus à battre la poussière du sol de nos pas. Cette fois-ci, par chance, nous trouvons un accès à l’ancienne piste, moins large, plus proche du Mékong, plus sauvage et donc plus intéressante pour nous. Mais une fois arrivés au carrefour, nous ne voyons plus aucun intérêt à randonner machinalement 40km le long d’un tel axe routier, à respirer les vilains gaz d’échappement et à prendre des coups de soleil sur le nez. Non, non, non, pas question de se torturer ! Nous décidons de faire du stop, mais il semble que la station essence au coin de la rue soit également un arrêt de bus. Un chauffeur nous propose de nous emmener pour 5$US. La question ne se pose même pas, nous sautons à bord, direction la capitale où nous retrouverons Ju, une amie expat !
A bientôt
M. & Mme Shoes
Visages d’Asie
Bons plans / Infos pratiques
Dormir à Kampong Cham :
Mekong Sunrise : une petite auberge avec des dortoirs un peu limite mais des chambres à 5$ tout à fait correctes. Sur les rives du Mékong, avec un restaurant au bon rapport qualité/prix.
Tenu par une famille de Khmer vraiment sympa !
Manger à Kampong Cham :
- Lazy Mekong Daze : un restaurant sur les rives du Mékong tenu par un breton expatrié depuis 18 ans ! Ses pizzas sont particulièrement bonnes. Nous vous recommandons d’essayer celle au chorizo et poivre vert de Kampot…
Bonjour mes baroudeurs je vous repond des sables où je suis en vacances encore de belles photos et surtout des enfants superbes et des Mamie sympathiques bonne route pour la suite bisous
Encore de belles photos et surtout un beau récit.
J’aime ton appétit de soleil Quentin.Les maisons flottantes avec télé.Les beaux sourires.Les couchés de soleil.Le pont de kampong cham démontable ((IKEA? ? ? )).
Gentils fous prenez soins de vous
Bonjour les enfants . Merci pour la suite de voyage et ces belles rencontres c’est bien ce moment de spiritualité et de méditation cela fait réfléchir sur le monde qui nous entoure et qui manque beaucoup dans la vie de nos jours .
A bientôt bonne route et grosses bises à vous deux . Mamé
Encore de belles photos, village sur l’eau, et j’aime particulièrement le coucher de soleil a Kampong cham.
et puis bien sur tous les visages d’Asie
bises
C’est un « roman » d’aventure, j’adore vous lire…Vite la suite…Que de belles rencontres !
Pleins de bisous de mes milliers d’abeilles….
des jolis paysages, des jolis portraits, un super coucher de soleil à Kampong Cham, un pont en kit et des jolis villages flottants ou avec des vaches de garde devant les maisons, tout ça agrémenté de rencontres sympa, c’est tout ce qu’il faut pour faire un bel article 🙂
A bientôt!
pour ma retraite je veux la petite maison avec l’escalier bleu….oui TOUT est encore si beau…paysages, visages, et rencontres….
« belle nourriture » pour vous….
merci de nous en faire profiter ..quel CADEAU pour nous
bisous
GMM
Bravo pour votre blog et vos photos sont splendides ! Elles me font revivre mon voyage au Cambodge, félicitation !