Après avoir passé deux semaines à Emeishan, à attendre que le pied de Mariette se soigne et à faire un peu de tourisme sur la montagne sacrée ou encore au Bouddha géant de Leshan, il est temps de reprendre la route. Ou plutôt le rail ! Nous sommes bien loin du Mékong, et l’option la plus rapide et économique pour le rejoindre est le train. Mais le tracé de la ligne de chemin de fer fait un large détour par Kumning, la capitale du Yunnan. C’est parti pour trois jours de voyage : vint-sept heures dans deux trains, douze heures d’attente consécutives et cinq heures de bus.
Shangri-La
Création imaginaire de James Hilton (Lost Horizon, 1933), Shangri-La existe pourtant bel et bien en Chine. En 2001, pour développer le tourisme, le gouvernement a rebaptisé de ce joli nom une ville de la région tibétaine du Yunnan. Malheureusement, elle n’a rien à voir avec la description idyllique du roman. A l’image des agglomérations chinoises, elle manque cruellement de charme. Mais Shangri-La possède un atout que d’autres cités n’ont pas : son vieux centre. Construite autour d’un temple juché sur une colline (possédant le plus gros moulin à prière du monde), la vieille ville est entièrement composée de vieilles maisons de bois sculpté.
Malheureusement, un incendie dévastateur en ravageât quatre-cent d’entre elles en 2014. Nous découvrons donc une nouvelle « vieille » ville, en reconstruction. Des artisans s’affairent dans le bruit et la poussière à rendre à la ville la gloire de ses ruelles.
Shangri-La, c’est aussi le camp de base des nombreux touristes venus explorer la région. Les locaux l’ont bien compris : les boutiques de grandes marques d’équipement outdoor, de souvenirs et autre camelote s’alignent les unes après les autres dans les ruelles boisées. Alors pourquoi avons nous choisi de rester quelques jours à Shangri-La ?
Parce que c’est ici que vit Constantin ! Constantin est un explorateur/écrivain/entrepreneur français vivant dans la région depuis de nombreuses années. Il vient d’ouvrir un nouveau restaurant fort charmant, le Flying Tigers Café, et nous souhaitons l’y rencontrer afin qu’il nous éclaire un peu sur l’état des sentiers, et l’espacement des villages le long du Mékong (nous ne possédons qu’une carte électronique incomplète de cette région reculée de Chine…). Nous y rencontrerons finalement Guillaume, Frank et Estelle, toute la clique d’expats du coin, et passerons un excellent moment en leur compagnie…
Cizhong, au cœur de la vallée du Mékong
Depuis Deqin (prononcez Dé-Tchïn), horrible cité située à environ cinq heures de bus au nord de Shangri-La, nous entamons notre longue descente du Mékong. Trente kilomètres plus loin, nous retrouvons le grand fleuve pour la première fois depuis notre expédition à sa source sacrée de Zaxiqiwa. Ici, le Mékong est une véritable machine à laver enfoncée dans un couloir de rocs acérés. Le soleil levant illumine les versants des montagnes qui nous font face. Rapidement, le feu solaire cuit nos couvre chefs. Nous progressons le long du bitume brulant, à une hauteur vertigineuse. Heureusement le paysage est magnifique, nous divertissant agréablement de l’effort intense que nous devons fournir. Il nous faut en effet marcher quelques soixante-quinze kilomètres pour rejoindre le village de Cizhong (prononcez Se-Djong), qui sera notre première étape. Les méandres du fleuve ouvrent parfois de vertes vallées parsemées de petits villages fermiers aux toits de tuiles, rappelant les jolies maisons vues dans la région de Garzê, entourés de champs de maïs en terrasse. Le reste n’est que pente abrupte et éboulis arides. Au vu de la topologie des lieux et de la caillasse agressive qui couvre chaque centimètre carré de terrain, tous les espaces plats disponibles sont cultivés et entourés de fil barbelé. Pas évident dans ces conditions de trouver un endroit propice où bivouaquer.
Deux jours et une matinée. C’est le temps qu’il nous aura fallut pour parcourir la distance entre Deqin et Cizhong. Pas mal pour un début ! Nous souhaitions nous rendre dans cette petite bourgade pour deux raisons.
La première : son Histoire. Dans les années 1850, les pères missionnaires des Missions Étrangères de Paris, en route vers le Tibet interdit, se heurtèrent à la violence des lamas bouddhistes protégeant leur royaume. Ils se replièrent donc vers cette dangereuse vallée en proie aux brigands et autres malfrats. Ils évangélisèrent de nombreux villages tibétains et apportèrent avec eux notamment des pieds de vignes pour concevoir le vin de messe. Rejoints plus tard par les aumôniers suisses du Grand Saint Bernard qui leur apportèrent leur connaissances montagnardes, ils établirent quelques églises dans la région, dont celle de Cizhong, l’une des plus importantes de la vallée. Traqués par le gouvernement, huit d’entre eux connurent des morts violentes, assassinées par des lamas locaux ou par des brigands acoquinés à ces derniers. Lors de la révolution culturelle chinoise, les derniers prêtres furent chassés du pays définitivement, mais les populations conservent toujours une foi intacte, et continuent à cultiver la vigne.
La seconde : Il semblerait que deux vignerons francophones viennent de lancer un projet viticole. Ils espèrent produire le meilleur vin de Chine et d’Asie qui se placera parmi les bouteilles les plus cotées du monde. L’un est un œnologue/vigneron talentueux, et leur projet est ambitieux : ils partent de zéro. Pas de machine ou autre technologie. Tout est fait à la main en travaillant avec les villageois : la récolte, le tri, l’égrappage, la presse… Problème : nous ne savons pas exactement où les trouver.
A Cizhong, nous nous rendons à l’église. Le prêtre est certainement notre meilleure option pour trouver nos deux compatriotes. Hélas, si l’église est magnifique, l’accueil que nous réserve l’ecclésiastique chinois, smartphone dernier cri en main et Rolex en or au poignet, est de loin le moins charitable que nous ayons reçus en Chine. Mal aimable au possible, il n’aime pas les français et nous le fait clairement savoir. Il nous indique qu’il n’y a pas d’étrangers dans la région et nous fout dehors sans autre forme de procès… Nous apprendrons plus tard que c’est un vil mensonge car il connait nos deux amis. Pourquoi tant de haine ?
Faute de mieux, nous interrogeons les villageois. A force de persévérance, nous finissons par apprendre que nos vignerons résident dans un petit hameau perché dans les montagnes à quelques kilomètres de Cizhong. Pour trouver leur maison, nous ferons des tours et des détours dans les environs.
Par exemple, nous demandons à un fermier dans notre plus beau chinois :
- « Nous chercher deux français faire vin »
Il nous indique une petite piste qui monte dans une forêt de pins, à peine assez large pour y passer avec nos gros sacs à dos. Certainement un raccourci. Ou pas… Nous débouchons sur un cimetière où sont enterrés deux des pères missionnaires décédés en 1905. Merci mon gars, la prochaine fois nous demanderons deux français vivants !
Le vin de Cizhong, terroir du Mékong
Nous finissons par les trouver dans la petite ferme de Célia. Nous y passerons cinq jours, entre poules et cochons, à écouter avec passion l’Histoire de la région contée par nos amis francophones, ainsi que les nombreuses explications sur la fabrication du vin. Pendant ce temps, Quentin tombe sous le charme de Paulina. Véritable coup de foudre ! Elle est belle, avec son ruban rose fuchsia sur la tête, son regard plein de malice et sa bonne humeur. Elle fume la pipe, bois son propre alcool de riz. Mais ce qu’il préfère en elle, c’est son superbe sourire… Même si elle n’a plus que trois dents. Et oui, Paulina à quand même quatre-vint cinq ans ! Pourtant, pleine de force et de courage, elle se lève tous les matins à sept heures afin d’aider sa fille Célia à travailler dans la ferme et transporte d’énormes charges sur son dos à l’aide d’une sangle qui passe sur son front à la manière d’un sherpa.
Vignerons et villageois, tous attendent le soleil qui marquera le début des vendanges. Il apparaitra samedi. Après un dernier contrôle de maturité le grand « go » sera lancé, signal de départ de trois semaines de remue ménage. Aussitôt prononcé, l’agitation bât son plein. Les coups de téléphones sont lancés dans tous les sens pour organiser la récolte. Des villageois débarquent de tous les coins.
Ni une, ni deux, tout le monde est dans les vignes et les paniers se remplissent. Nous sommes nommés « contrôleurs » du tri. Nous passons d’équipe en équipe afin de vérifier le travail des tibétains. La vendange se déroule dans la bonne humeur : sourires échangés, rires, complicité silencieuse, bavardage des femmes entre elles. Nous passons un bon moment, mais il faut régulièrement remettre un peu d’ordre dans les esprit qui se dissipent rapidement. C’est qu’il faut garder un tri parfait du raisin pour en tirer un grand cru. Le raisin est doux, sucré, à tomber par terre. « De l’or » !
Le soir après le dîner, tout le monde se retrouve pour l’égrappage. L’ambiance est fantastique. La majorité des travailleurs sont des femmes, et elles ont beaucoup de caractère. Regroupées autour d’une grande bâche étalée sur le sol, ça rigole et ça parle fort, on n’y comprend rien, mais on imagine bien l’échange de cancans et de potins. Vers minuit, la première jarre est pleine. Toute la petite équipée s’en va trouver un repos bien mérité, alors que le vigneron, lui commence la vinification.
Aujourd’hui c’est Dimanche, c’est le jour du Seigneur. « Dubondu », comme disent les villageois. Nous avons prévu de reprendre la route, mais nous ne voulons pas quitter le hameau avant d’avoir assisté à la prière dominicale dans la chapelle. Il s’y déroule, paraît-il, de superbes chants. Effectivement, le chœur de tibétains s’élève en une mélopée lancinante et envoutante. Les voix sont merveilleuses, râpeuses, parfois légèrement criardes chez les femmes. Du miel pour les sens. Une musicothérapie insoupçonnée. Les hommes sont assis à droite, les femmes à gauche. La vie ne s’arrête pas pour autant pendant la prière : les enfants courent et jouent au ballon, les bébés pissent par terre, les mères donnent le sein, des gens entrent et sortent en discutant. Ce n’est certainement pas de la grande liturgie, mais c’est beau, simple et authentique. Une foi restée inébranlée malgré l’absence de représentant de l’Église depuis près de soixante-dix ans !
Tué le matin même, un cochon est vendu à la sortie de la chapelle. Morceaux de viande pendus aux poutres du porche et achetés avec gourmandise. Nous en profitons pour nous éclipser et reprendre notre cheminement après avoir fait nos adieux à nos nouveaux amis.
Avoir participé à la création de la première jarre de ce premier millésime était une expérience belle et formidable, qui restera parmi les moments clefs de notre voyage au long du Mékong.
A bientôt
M. & Mme Shoes
Visages d’Asie
En attendant notre prochain article, nous vous laissons en compagnie de quelques beaux visages croisés durant ces quelques jours :
Bons plans / Infos pratiques :
Bonnes adresses à Shangri-La et dans la région :
- A Shangri-La, dans la vieille ville, arrêtez vous le temps d’un repas au Flying Tiger Café ! Frank, le chef, passionné des saveurs de Chine et du Yunnan propose une carte qui mélange savamment gastronomie française et délices locaux. Le tout dans une ambiance coquette comme à la maison !
Tel: 0887 – 8286661
91 Jin Long Jie Shangri-La Old Town 674400 - A Benzilan au nord, nous vous recommandons un petit séjour à Tulu Lodge, une éco-lodge absolument magnifique. Estelle, sa propriétaire, pratique le Yunnan depuis 25 ans et y vit à plein temps depuis maintenant de bonnes années. Guide dans toute la province, elle est également une excellente cuisinière et spécialiste des saveurs du coin !
Voyager le long du Mékong :
- La nouvelle route ayant été inaugurée il y a quelques mois, voyager dans la vallée du Mékong est relativement aisé. Des villages ou petite bicoques en bord de route permettent le ravitaillement régulier. Inutile de se balader avec plusieurs jours d’autonomie.
En revanche en été il y fait très chaud et sec. Prévoyez beaucoup d’eau et de la protection solaire !
Y faire du stop a été plus compliqué que précédemment dans le nord du Sichuan ou dans le Qinghai. Nous ignorons pourquoi mais si vous envisagez ce tronçon en pouce, sachez le.
Y camper est relativement difficile, en raison de l’escarpement des gorges. Prévoyez un bon moment pour trouver le terrain idéal pour planter sa tente.
De jolies petites ruelles à Shangri-La, et un impressionnant rouleau de prière (c’est spécial pour les prières de groupe, ça doit pas être facile à faire tourner tout seul? )!
La vallée du Mékong est superbe (surtout avec un Gwen-a-Du devant :p), et la vue de la terrasse du chais pour déguster un bon vin a l’air plutôt sympa!
et votre voisin de la ferme a l’air vraiment cool, mais il a oublié de se laver le museau avant la photo 😀
Je découvre votre blog avec grand plaisir… vous allez me donner des idées pour le Sichuan… je suis déjà allée à Cizhong suite à une rando dans le coin et du coup j’ai une petite question, il y a des français installés à Cizhong qui font du vin ou j’ai rien compris?
@Amélie-Voyagista : Tu as à peu près bien compris 🙂 Ils sont installés juste à côté de Cizhong, mais sont difficile à trouver. N’hésites pas à nous contacter par email si tu veux plus d’infos, ou autre sur la région…
Miam !!! J’ai adoré cette ballade et cette rencontre des villageois pour faire les vendanges..Et je suis désolé que cela s’arrête…Encore…Merci pour ce partage ! Que cela a du être un beau moment. Magnifique vielle ville, et superbe galerie de portraits…Quant au « prêtre », il n’a pas dû tout comprendre, pathétique…
Bises..
J’adore votre récit que de beaux paysages .Toutes ces grands mère superbes Paulina c’est vraie est très belle malgres son grand âge j’aime aussi les deux enfants avec une bonne bouille .Attendons d’autres nouvelles je me régale bon courage bisous à vous deux .Je repense à Paulina grand âge j’exagère elle a peu de différence avec moi moralité on ne se voit pas j’ai tout de même plus de dents .
Allez je vous dis à bientot Mamie
Merci de nous faire partager les visites de votre parcours il y a vraiment de
belles choses à découvrir .
Dans tous les pays du monde il y a des grand Meresformidadles ,tu as raison
Quentin de l’admirer . Bonne route , à bientôt , gros bisous .
toi pas bien parlé chinois et cochon aussi parler chinois toi rien compris aux groink groink….
quant à Paulina, sa pipe et ses trois dents no comment!!
en tout cas belles photos (j’aime les rizières jaunes)
et on attend une dégustation de la cuvée…..
bises
Enfin le drapeau Breton est sorti je le souhaitais a la source du Mékong.
j’aurais tellement de chose a dire tant vous me faîte rêvé .Deux jours et demi de marche a pieds me dit que Mariette vas bien.Quel paysage.! ! ! ! !Les ruelles de Cizlong la vigne la vendange! ! ! ! ! !Vous êtes a quel altitude ? ? ?Inoubliable pour vous je crois ce moment.Vous parlez donc le chinois désormais ? ? ?
Gentils fous prenez soins de vous @+
Super carnet de route ! Je découvre votre blog avec d’autant plus de ravissement que je viens moi-même de passer chez Célia, Lihua et Paolina pour prêter main forte (du 1er au 4 octobre) Quel hasard ! J’en garde la même impression que vous, et je ne peux que soutenir leur projet du vin.
Bonne route à vous !
Vous avez quand même trouvé le moyen de faire les vendanges en pleine vallée du Mékong ! 🙂 Ah, France ! Fuis moi je te suis ! Joli billet en tout cas ! Profitez bien !