Quelque part dans l’Ouest du Yunnan… Il est huit heures du matin, et déjà nous foulons l’asphalte. Il faudra bientôt nous renommer « Écumeurs de Bitume » ! Mais où nos pas nous mènent-ils, de si bon matin ? Au Sud. Toujours plus au Sud. Le long de ce cher compagnon de route nommé Mékong !
Sur la route dans le Yunnan
Nous progressons à flanc de gorge sur une route flambant neuve, terminée il y a deux mois à peine. Sommes-nous les premiers randonneurs à la fouler de nos pas ? Nous ne pourrions le dire et nous nous méfions de la réponse. De nos jours, lorsqu’on pense être le premier à s’aventurer sur un chemin, on découvre bien souvent tôt ou tard n’être en fait que dans les traces de quelqu’un d’autre. Il y a aujourd’hui tant d’aventuriers inconnus, illustres vagabonds qui parcourent silencieusement le monde simplement pour le plaisir d’aller…
Aujourd’hui, comme hier, et comme la journée précédente, un soleil de plomb accompagne notre marche. Il fait 35°C au bas mot. Heureusement pour nous, qui sommes nos propres bêtes de somme, l’air s’engouffre toujours dans le goulet de la gorge. Une brise légère sèche à notre front la sueur au fur et à mesure de son goutte-à-goutte. Le Mékong coule à grande vitesse entre les roches escarpées, tel une grande rivière de chocolat au lait. Vision de chocolaterie Willie Wonka. Mais où sont donc les sympathiques Hoompa-Loompas ?
Voici trois jours que nous avons quitté Cizhong et la merveilleuse ferme tibétaine où nous avons vécu de si beaux moments. Depuis, le Mékong nous offre l’hospitalité de ses berges pour notre repos nocturne. Tantôt nous créchons dans une vieille carrière, tantôt sur un coin de plage désert… Nous baignons nos pieds endoloris dans ses eaux glaciales et y rinçons le sel de la journée. Nous instaurons un rituel quotidien : l’entretien de nos machines, étirement du corps, relâchement des muscles. Nous n’irions pas loin sans cela…
Hier soir, le terrain caillouteux, ce rustre, n’était pas très enclin à nous laisser camper. La providence plaça sur notre chemin, une petite maisonnette isolée sur les berges du Mékong. Nous demandâmes à sa propriétaire l’autorisation de planter la tente non loin de son logis, sur un terre-plein de graviers, certes, mais merveilleusement plat.
- Dormir sur ce tas de cailloux ? Quelle drôle d’idée… Sont-y bêtes ces étrangers !? Dit-elle en riant. Pourquoi ne pas dormir sur ma terrasse ? (Traduction quelque peu approximative des auteurs)
Pourquoi pas, en effet. Et voilà qu’elle nous offre le thé, puis un somptueux diner ! Non, là vraiment, c’est trop… Nous sommes ravis, mais tellement embarrassés. Puis nous sommes conviés pour le feuilleton du soir, un navet américain de la pire espèce au scénario très travaillé. Nous piquons du nez alors que le groupe d’acteurs bodybuildés, terriblement mal doublés en chinois, affronte un gang de requins blancs affamés, en images de synthèse « low budget », dans un parking souterrain envahi par les flots. Nous nous endormons tout plein de reconnaissance pour cette gentille vieille dame.
La générosité des gens du Yunnan, et de Chine, n’est plus à démontrer. Il y a quelques temps déjà, avant Cizhong, un vieux fermier tibétain nous avait offert un solide diner et le sol de sa maison pour y passer la nuit. Et plusieurs fois par jours, des véhicules s’arrêtent pour nous proposer quelques kilomètres de voyage motorisé. Nous n’y cédons pas toujours, mais quelques fois il est bien agréable de voir les kilomètres défiler sans effort. A chaque trajet que nous acceptons, les conducteurs sont bien incrédules et le récit de notre périple déclenche les rires à coup sûr.
- Mais enfin, pourquoi marchez-vous ? Pourquoi ne prenez-vous pas le bus ? Vous n’avez qu’à vous acheter une moto, ça irait plus vite ! Ou un vélo ! Quoi ? Vous aimez marcher ? Ah mais ils sont cinglés ces étrangers… Complètement retournés du bocal ! (Attention ! Traduction de nouveau quelque peu approximative des auteurs)
Nonobstant ces viles moqueries totalement non méritées (considérant que nous sommes incontestablement très sains d’esprit), ces étapes en stop nous font faire des progrès fulgurants en langue chinoise en plus de nous faire rencontrer des gens adorables et très rigolos. Un coup, ce sont deux jeunes qui nous embarquent, nous abreuvant de yaourt frais chinois (par ailleurs délicieux) et nous emmènent visiter un vieux village de l’ethnie Lisu. Nous serions totalement passé à côté si nous n’avions pas fait leur rencontre. Un autre coup, c’est un couple entre deux âges transportant un gros cochon rose dans un camion tout neuf qui nous prend à bord pour une centaine de kilomètres. Ils ont un sens de l’humour fabuleux. On s’en tient encore les côtes !
Mais voyons, pourquoi marcher ?
Ils ont raison, les chinois, avec leur question… Pourquoi marcher ? Quelle mystérieuse mouche nous pique chaque matin lorsque nous décidons de nous élancer pour trente kilomètres péniblement arrachés à la seule machine humaine ? Car nous ne marchons pas pour l’effort. Aucun défi sportif dans notre démarche. Quoi alors ?
Difficile à expliquer. Peut-être pour prendre le contrepied de notre époque, où il est acquis et normal que tout file à cent à l’heure. Simplement pour apprécier de vivre le moment dans une quintessence de lenteur… Mais non, ne nous emballons pas. Si nous marchons, c’est pour nous avant tout. Non pas pour rendre des comptes au reste du monde, ou porter un jugement sur notre pauvre civilisation. Car la marche nous change, jour après jour, et ressert étroitement le lien qui nous unit. Il nous semble que sommes meilleurs. Plus sereins. Plus heureux. Plus amoureux (Est-ce possible ?).
Lorsque l’on marche, le temps s’étire. Il s’arrête presque. Les paysages que l’on traverse s’impriment plus profondément dans nos rétines et dans nos cœurs. On s’imprègne des détails que l’on manquerait autrement : le bêlement des chèvres, le tintement des cloches des vaches, les odeurs de moisson, la musique tonitruante qui s’échappe des hauts-parleurs attachés à l’arrière des motos, la beauté champêtre des petits villages, les sourires offerts par les gens… Nous sommes animés d’une force nouvelle. Nous connaissons une joie de vivre comme jamais ! Un jour passe puis deux puis trois… On perd le compte, on se laisse vivre. Nous rêvons au rythme de nos pas, chantons (Mariette est une excellente petite radio !), nous faisons naître de nouveaux projets de voyage, imaginons notre futur, revivons notre passé, apprécions tout simplement le présent. Après la première quinzaine de kilomètres, alors que le soleil est au Zénith, notre conversation perd son sens. Tout y passe : jeux de mots à deux sous, références des livres, BD et films qui ont bercé notre enfance, chansons abruties. Soudain on s’imagine sédentaires ! Argh horrible cauchemar ! Et il y a des jours où, tout simplement, nous avançons en silence.
Petit à petit la gorge s’ouvre, la rivière s’élargit, les montagnes arides deviennent vertes collines, on voit de plus en plus de rizières. Le paysage se tropicalise à grands pas (les nôtres!). Et là soudain : « Un buffle !!! » nous exclamons-nous. « Mooooo », nous répond-il (Ça n’a pas beaucoup de conversation un buffle…). Il y a à peine quelques centaines de kilomètres, nous quittions les troupeaux de yacks des alpages tibétains et nous voilà aujourd’hui face à face avec les cornes massive d’un buffle placide et tout crotté.
Le Yunnan nous montre encore une fois la diversité et la richesse exceptionnelle de ses terres. Plus nous en effleurons les contours, plus la région nous fascine. L’architecture a elle aussi subitement changé. Elle affiche ici le style représentatif de l’ethnie Dai : charmantes maisonnettes aux toits de tuiles bleues en ailes d’hirondelle, et aux murs blancs peints à la main d’estampes chinoises idylliques et de caractères calligraphiques.
Alors que nous cheminons, accumulant la fatigue de l’effort au fur et à mesure que la journée s’allonge, intervient une réflexion sur la marche elle-même. Comment faut-il marcher ? Taper du pied ? Amortir avec les orteils et rebondir ? Dérouler délicatement la plante du pied ? Et le bâton !? Faut-il donner un coup de poignet en avant ou garder le bras fixe à 90° ? N’oublions pas le sac à dos dans cette affaire ! Doit-il reposer plus sur les hanches que sur les épaules ? Former un creux dans le dos à la cambrure ou au contraire être collé contre la colonne ? Faut-il marcher droit comme un piquet ou se voûter, penché en avant ? Zut, voila qu’il se met à pleuvoir à présent.
Q : Tu me diras, ça nous pendait au nez. Le temps est mitigé depuis les averses d’hier.
M : Moi je commence à fatiguer. Je crois qu’il est l’heure du Snickers de survie.
Q : Goulaffe va ! Tous les prétextes sont bons ! N’empêche que la question du moment c’est : mais où allons-nous bien pouvoir dormir ce soir ?
En effet, l’heure du crépuscule approche à grands pas et nous ne voyons pas un seul endroit où installer notre petite guitoune. Nous n’avons pas d’autres choix que d’avancer. Nous avons déjà vingt-cinq kilomètres dans les gambettes lorsque nous découvrons un barrage bloquant le flot du Mékong. La compagnie hydro-électrique a érigé dix kilomètres de grillage en amont et en aval du barrage. Nous sommes faits comme des rats (mouillés) ! Obligés de nous engager dans ce corridor de sécurité permettant de calmer la parano des autorités concernant les activistes écolos. Quentin repère même une voiture aux vitres teintées qui fait des aller-retours sur la route, ralentissant à notre hauteur. Nous surveille -t-elle ? Ou sommes-nous nous aussi en train de virer à la paranoïa ?
Nous finissons, épuisés, par atteindre la cité dortoir des employés et trouvons refuge dans un petit hôtel restaurant. Un groupe de jeunes ingénieurs est déjà attablé pour le diner. Ils nous invitent à nous joindre à eux. L’un d’eux parle anglais et fait office de traducteur. Ils nous abreuvent de bière et de baijio, l’alcool de riz local, tord boyaux sans nom, et payeront finalement notre dîner… Nous passons une soirée fantastique, loin de tous les clichés français.
Décidément, la Chine nous fascine. Plus on y reste, plus on s’y plait !
A la prochaine !
M. & Mme Shoes
Ce matin j’ouvre la tablette , bonne surprise des nouvelles des nouvelles de mes oies chinois . Je constate que le voyage se poursuit avec de nouvelles découvertes
et nouvelles balades superbes en Chine .
Bonne route et grosses bises à vous deux .
Ho que c’est beau vos propos vos photos
Mille bravo pour ce que vous faites.J’essayerais de trouvé une combine pour les sacs a dos bien que ! ! ! ! Avec votre photo de l’ancien ça conserve ? ? ?
Gentils fous prenez soins de vous
C’est encore moi j’ai oublié de vous dire demain je fais une rando sante de
5km en forêt de Lyons , je m’entraîne pour partir avec vous dans votre
prochaine expédition . Bisous Mamé
je n’ai qu’un mot à dire : MIAM !
Ah si, aussi la moustache de Quentin lui va très bien; avec son chapeau et un panache de plumes imaginaires, on croirait voir Dartagnan ! Enfin, bref, cool fils…Quant à Malilou, que dire, toujours aussi mignonne ma fille…
Bises bretonne d’un bel automne avec ses couleurs magnifiques…
Que de bonheur et de fraîcheur ! La marche et le Mékong vous vont à ravir et vos textes sont tout simplement de plus en plus merveilleux à lire 🙂 Merci !
Alors je n’ai plus mon journal au petit déjeuner !!!!!!.je reçois l’après midi je vois que Mamé elle c’est plus tôt enfin peut importe c’est d’avoir de vos nouvelles .Encore de belles photos je ne voyais pas cet endroit si sympa c’est bien la moustache est pas mal ça va il est beau notre Quentin bonne suite gros bisous à vous deux
encore un coin sympa! (enfin 430 bornes, ça fait un grand coin, mais c’est un coin quand même!)
j’adore les photos des rizières et en particulier celle de la moisson du riz vue de haut.
la terrasse de camping me plait bien aussi!
et la will-turner-style-moustache, c’est pas mal! mais ça manque un peu de densité pilaire (comment ça c’est génétique? 😀 )!
De belles images et comme Gaultier j’aime beaucoup les rizières avec les ouvriers et leurs chapeaux vu du dessus
Ta barbichette et ta moustache font chinois (dixit ta mère!!)
quant à la pilosité c’est en effet génétique mais ça vient avec l’âge patience!!
Pour finir avec les allusions cinématographiques je trouve le Gemini Criquet (cricket c’est le sport!!) impressionnant (mais rend-il autant de services?)
Le joli selfy de vous deux devrait plaire à Elina…..
Bises
magnifique …. vos photos sont superbes et les textes passionnants font rêver… quel plaisir de vous suivre dans ce périple asiatique
à bientôt les amis
Christian … « gauchepatte »
oui le selfie plaît bien à Elina! les photos de gens en général lui plaisent bien, et si en plus ces gens sont TontonQuotin et TataMayette, c’est encore mieux!
par contre Elina préfère la moustache de Mariette à Pékin à celle de Quentin sur le Mékong 😀
Agréable récit et photos magnifiques, ca donne envie à Seb de venir dans les rizières…j’adore le portrait de la sauterelle ! Gros bisous, je pense à vous.
bonjour je compte aller marcher autour de Dequin en Octobre, est ce qu’il y a des guides de montagne la bas ?
Tres belles vos photos il me tarde d ‘ y etre.
Une grande marcheuse devant l ‘éternel et faut dérouler le pied en marchant, et le sac a dos bien serré au corps !!!!
J ai marche pendant 3 semaines au Tibet il y a longtemps en dormant chez les Tibetains, entre le camp de base de l’Everest et Sakya. Une de mes plus belles aventures.
A plus de vos news !!!
Bonjour Pierrette !
En octobre il risque de faire frais là-haut ! Il y a des guides, mais nous n’avons pas loué personnellement leurs services. Il y a des possibilités d’aller trekker dans les Gorges du Saut du Tigre, sur une des montagnes sacrées des alentours (le Meili ou le Kawakarpo par exemple, mais pas que !) ou encore dans la vallée de la Salween…
Essayes de te renseigner auprès d’Estelle de Tulu Lodge qui connait très très bien la région, ou bien du Flying Tigers à Shangri-La. Tu trouvera les coordonnées pour les contacter dans notre article sur la région : https://shoesyourpath.com/deqin-cizhong-mekong-tibetain-du-yunnan/
La région est magnifique, tu vas te régaler !
Bon voyage 🙂