Et voilà… Nos derniers kilomètres à pieds ! Et si nous partions nous perdre pour six jours dans les dédales de rizières et de canaux du mythique delta du Mékong ? Au bout, nous l’espérons, nous trouverons la mer et la satisfaction d’avoir accomplit un rêve fou, celui de descendre le grand fleuve Mékong, de sa source à son embouchure… Vous venez ?
Des cocotiers, des bananiers… et des poulets !
C’est un peu émus que nous reprenons la route au petit matin. La rumeur de Can Thò et de ses marchés flottants se perd bien vite dans le lointain, alors que nous avançons de plus en plus loin dans le grand labyrinthe vert du delta du Mékong. Les cartes en notre possession sont incomplètes. Un grand vide apparait là nous où nous voulons passer. Seul deux grands axes y sont notés : un au nord et un au sud, tous deux longeant les bras principaux du fleuve. Mais il est hors de question que nous les suivions ! Notre idée est tout autre : tenter de nous frayer un passage, au hasard, le long des innombrables canaux de la région. Nous empruntons donc de jolis chemins au gré de nos envies, tout en gardant un œil concentré sur la boussole qui nous permet de garder le cap vers l’embouchure tant convoitée du fleuve.
Mais il est difficile de ne pas se laisser distraire. Le paysage est tout simplement merveilleux. Le jardin d’Eden ? C’est ici ! Nous nous sommes rarement baladés au cœur d’un si belle végétation. Le delta du Mékong tout entier semble être un fantastique verger, sauvage et vivace. Ici tout pousse sans règles et en abondance : bananes, noix de coco, mangues, ananas, fruits du jacquier, délicieuses sapotilles… Il n’y a qu’à se baisser ou tendre le bras ! Et, le long des petites maisons de plein-pied qui bordent les canaux tentaculaires, les vietnamiens ont amoureusement planté des fleurs multicolores. C’est le premier peuple d’Asie du sud-est que nous rencontrons qui cultive avec tant de goût l’art des jardins…
Mais si les Vietnamiens ont la main verte, ils sont par contre beaucoup plus discrets que leurs voisins du Cambodge ! Discrets ou timides ? Timides ou réservés ? Ou bien est-ce une part de culture qu’ils ont conservé de l’époque française, celle qui apprend de ne pas interférer avec les affaires d’autrui ? Qu’importe, ils sont quand même bien polis ces vietnamiens, et répondent toujours avec un sourire à nos salutations enjouées. Mais pour faire des rencontres ici, c’est à nous d’aller vers les gens.
La glace se brise facilement après une demi-heure (et lorsqu’ils ont bien reçu plusieurs fois l’assurance que nous ne sommes pas américains !). C’est ainsi que nous passons notre première fin d’après-midi sur la terrasse d’une petite famille, à boire du thé et à se fendre la pêche sans bien même se comprendre les uns les autres. Les femmes de la maison sont en train de fabriquer de magnifiques panier en fibres tressées. L’accueil est chaleureux et bienveillant. La grand-mère parle à Mariette dans un flot soutenu dont on ne comprend bien évidemment pas le moindre mot ! Elle affiche un air tout à fait effaré lorsque nous commençons à rafistoler les trous d’usure de nos « supers » t-shirts en mérinos avec des morceaux de petite culotte (le seul élément sacrifiable de nos sacs à dos) ! Bon d’accord… C’est vrai qu’il y a de quoi !
Mais alors que le soir tombe et que nous nous apprêtons à passer la nuit en tente dans leur jardin (le chef de maison nous avait donné son accord sans hésitation), voila qu’un petit homme replet et mécontent arrive en scooter pour nous passer un savon monumental, le tout en vietnamien. Nous avons tout de suite compris à sa tête que nous nous trouvions face à un foutu poulet en civil, sacrément mal luné qui plus est ! Nous jouons néanmoins les imbéciles, tout en essayant de se concerter en douce sur la marche à suivre… Nous sommes au milieu de nulle part, nul doute que nous ayons été dénoncé par un voisin un peu trop patriote. Que faire ? Le type s’empourpre. Il nous hurle dessus en pointant notre tente « NO, NO, NO » ! Nous comprenons vite, nous savons qu’il est interdit de camper au Vietnam, et même d’être hébergé quelque part sans déclaration préalable à la police. D’accord, mais où voulez vous que nous allions ? Nous sommes à pied, et il fait nuit ! Bien sûr que nous voulons partir. Pas question de causer de problème à la gentille famille qui nous a accueillit… Si ce n’est pas eux qui ont directement appelé la police ! Nous percevons mieux tout d’un coup le climat dans lequel se trouve le pays : un régime totalitaire où peur et délation règnent avec propagande, corruption et police. Les membres de la famille nous entourent tandis que le mari explique au flic qu’on s’est invités sans demander (du moins c’est ce qu’on interprète ). Les deux anciens de la famille nous jette des coups d’œil navrés. « Pas le choix ! » semblent-t-ils vouloir nous dire.
Le flic a de la ressource, il nous passe bientôt son téléphone portable au bout duquel nous entendons une voix féminine à l’anglais hésitant. « Vous devez suivre le policier, ou vous allez être arrêtés pour camping illégal ! » Elle est bien bonne celle là ! Pour exprimer notre mécontentement face à cette privation outrecuidante des droits universels du campeur nomade, nous prenons tout notre temps pour rempaqueter avec soin notre barda, sous le regard ulcéré de l’officier-cerbère ! Il nous assène des vérités toutes faites, en agitant ses paluches mal dégrossies. On imagine tout à fait : « La loi, c’est la loi, non d’une pipe ! » Son subalterne arrive alors sur une vieille pétrolette. Lui aussi se fait enguirlander sans ménage par notre bulldog en mal d’action ! Et c’est parti, nous enfourchons les deux scooters avec nos gros sacs, nos bâtons de marche et tout notre fourbi et nous laissons conduire dans les petits chemin par nos deux barbouzes. C’est un peu casse gueule et il fait nuit noire ! Pourvu qu’il ne nous ramène pas à notre point de départ !
Après ce qui nous semblera avoir duré une éternité, nous arrivons devant un bâtiment. Contre toute attente, ce n’est pas le commissariat, mais un hôtel miteux ! La mésaventure se termine plutôt bien. Les flics nous ont même fait gagner un peu d’avance sur notre trajet ! Ils nous abandonnent sans regrets sur un « Et maintenant, tenez vous à carreaux, bande de voyous ! » (ou quelque chose du genre…).
Dans les rizières au cœur du delta du Mékong
Suite à cette mésaventure avec les forces de l’ordre, nous décidons de revoir notre plan d’action. Pas question de menacer la réussite de notre projet, ni de mettre en défaut les populations locales ! Nous ne camperons plus…. Nous passons donc cette première nuit d’hôtel à repérer notre itinéraire à travers les rizières grâce aux vues satellites de Google Maps. Nous devons être sûrs d’arriver en ville chaque soir ! Ce changement de programme s’avère finalement être une bonne idée. Le lendemain et le sur-lendemain, des scooters banalisés de la police locale surveillent nos moindres faits et gestes ! Ils parviennent toujours à nous retrouver, même si nous essayons de les semer dans le dédale des rizières !
Rizières qui sont par ailleurs très jolies. Bordées de rangées de cocotiers, elles ondulent sous le vent que l’on sent venir de la côte. De grandes allées blanches et rectilignes percent les étendues des plantations, qui se dressent et s’affaissent comme des vagues. On se croirait tel Moïse en train de séparer la mer. Sauf que celle-ci n’est pas rouge, mais verte !
Malheureusement, le manque de ponts nous entraine parfois à marcher sur de plus grosses artères goudronnées. La chaleur, la marche forcée pour rallier une ville chaque soir et l’armada de flics soupçonneux ont alors raison de notre moral. Mais où est donc la mer ? Va-t-on finir par y arriver ? Même les pauvres vietnamiens (qui n’ont pourtant rien fait) nous tapent sur les nerfs. Nos efforts pour apprendre quelques mots qui sauvent ne portent pas du tout leurs fruits, et même le langage des signes n’est pas une option ! Leur gestuelle nous apparaît complètement loufoque, et inversement. On n’y comprend rien ! Ajoutons à cela qu’à la moindre question, ils nous répondent « non » et nous laissent en plan sans aucune sorte d’explication ! Vous comprenez que, dans ces conditions, s’orienter ou trouver un hôtel réclame beaucoup (beaucoup !) de patience. Mais nous nous en sortons quand même et trouvons la plupart du temps un sentier coupant à travers ce labyrinthe aquatique.
Nous faisons d’abord étape à Uuh Thanh, pur produit du communisme forcené des années 80, avec ses haut parleurs crachouillants, ses drapeaux, son bâtiment du parti aux allures martiales et ses panneaux géants à l’effigie de Ho Chi Minh… Contraste total avec la vie que nous venons de voir le long des nombreux bras du delta du Mékong.
Nous atterrissons ensuite à Tieu Can qui vaut quant à elle bien le détour. Pastel, jolie, charmante, pleine d’habitants sympathiques, cette ville aux bords des canaux nous plait au premier regard ! Mais nous sommes déterminés à avancer et quittons dès le lendemain la douceur de vivre de Tieu Can pour Tra Cù, une bourgade aussi ennuyante qu’industrielle. Pris dans notre frénésie de kilomètres, nous fuyons de là dès potron-minet et marchons comme des acharnés pour arriver à Dinh Van, située à une jetée d’encablure de l’embouchure ! L’excitation est à son comble. Nous y sommes presque ! Plus que 25 kilomètres, une journée de marche, et nous arriverons au terme de notre expédition !
En attendant nous tentons de nous relaxer en profitant de la beauté du joli petit port de Dinh Van, où flottent sans ordre ni distinction les bateaux de rivière aux larges yeux en amandes et les petits chaluts de mer. Ces embarcations modestes en bois, peintes de couleurs vives, nous remplissent d’émotions. L’air est iodé, l’embouchure est en vue depuis le bout du port… L’océan est si proche !
Le port est animé. Nous rencontrons tour à tour à une réparatrice de filets de pêche hilare, un mécano virtuose qui fabrique toutes les pièces de rechange à la main, une fabricante de savoureux flamby artisanaux (oui, des flamby !), des pêcheurs en train de décharger leur cargaison, des femmes en train d’écailler le poisson, des ouvriers de l’usine à glace et une ribambelle de gamins rieurs ! Nous adorons l’ambiance ! Il est beau ce petit port. Pleins de couleurs et de sourires. On se rend pourtant bien compte que les habitants n’ont pas grand chose pour vivre…
Ce qui nous attriste aussi, c’est l’état lamentable dans lequel nous trouvons ce bras du Mékong. La pollution est inimaginable ! Nous qui l’avons vu sortir si pur de sa source himalayenne, nous avons un pincement au cœur de le voir ainsi souillé, 5000km plus bas dans le sud du Vietnam. Nous avons vu la pollution du fleuve augmenter au fur et à mesure de notre avancée et sommes ici au paroxysme de cet état consternant… Voyez plutôt :
L’arrivée au bout du Mékong
Les 25 derniers kilomètres jusqu’à la mer sont sans doute les plus longs de toute notre existence. A notre impatience s’ajoute un paysage morne et morose, qui défile à la lenteur d’un escargot. Le joli patchwork de bassins que nous voyions depuis les airs grâce à Google Maps est plutôt décevant sur la terre ferme. Nous traversons une grande zone de bassins de culture de crevettes, une activité lucrative mais à grand risque pour les exploitants qui peuvent perdre tout leur investissement au moindre coup du sort. Malheureusement, l’embouchure est cachée à nos yeux par une inextricable mangrove. Il n’y a cependant pas un arbre sur le chemin pour nous abriter des feux du soleil. Par bonheur, un fort vent iodé souffle en provenance du large. L’odeur des embruns nous redonne du baume au cœur, nous rappelant notre belle Bretagne natale. Encore un petit effort !
Plus nous approchons de l’océan, plus les mangroves gagnent du terrains sur les bassins à crevettes. Nous ne croisons pas grand monde sur le chemin. Vers midi, enfin, nous apercevons une rangée de pins. Au delà, nous le savons, se trouve l’océan ! Alors on ralentit le pas. On prend notre temps. On savoure. On flippe un peu aussi, soyons honnête. On dépasse enfin la rangée d’arbres et la mer est là, déserte, brune, odorante. Le bruit du ressac nous emplit les oreilles. Drôle de moment. Hier nous étions surexcités à l’idée d’arriver jusque là et aujourd’hui nous ne savons pas comment réagir. Entre l’envie de crier, de jeter les chaussures dans le sable brulant, de se recueillir puis de crier encore, ou simplement de rester silencieux pour apprécier le moment… Nous nous avançons lentement jusqu’à l’eau main dans la main et nous nous embrassons tendrement.
Deux heures plus tard, nous commençons à réaliser. Ça y est, c’est fini ! Nous l’avons fait ! Nous sommes arrivés au bout du Mékong ! Sept mois et demi plus tôt nous étions à Zaxiqiwa, la source sacrée du Mékong, perdue à 4880m sur le plateau himalayen en Chine. Aujourd’hui, 5000 km plus bas, dont plus de 2000 parcourus à pieds, nous voici enfin au bout de notre périple ! Nous sommes amaigris de 27kg pour Quentin et de 7kg pour Mariette, nous avons les épaules et les hanches creusées et brunies par les sac à dos, les cheveux rêches et en bataille et les pieds endoloris. Mais nous nous sentons bien… Tellement bien. Nous sommes heureux d’avoir vécu ces moments précieux, magiques, magnifiques, rencontré toutes ces personnes et ethnies incroyables, traversé ces régions inouïes, côtoyé le ciel dans les hauteurs des steppes himalayennes… Heureux aussi d’y être parvenus ensemble, d’avoir réussi à surmonter les épreuves du chemin, d’avoir su se soutenir pour continuer à avancer. Cette expérience n’a pas de prix, et elle nous marquera à jamais, même si nous ne savons pas encore quelle sorte d’empreinte elle laissera dans nos cœurs et quelles conséquences cela aura sur nos vies…
Merci généreux Mékong. Merci aussi à tous ceux rencontrés sur la route et avec qui nous avons partagé l’étincelle du voyage. Et merci à vous tous qui nous avez suivi et soutenu sur Internet tout au long de ce voyage !
Et maintenant ? Là tout de suite ? L’aventure continue, nous passerons encore 3 semaines au Vietnam à nous reposer et à visiter d’autres contrées, avant de rentrer afin de préparer de nouveaux projets…
A bientôt
M. & Mme Shoes
Décidément, pas de repos même en fin de voyage, le camping sauvage n’est plus ce qu’il était ! 😉 Beaucoup d’émotions à suivre ces derniers kilomètres sur le Mékong… J’ai eu cette même impression concernant la pollution des eaux du fleuve qui étaient marrons et plastifiées dans cette région !
Bravo à vous ! J’attends la suite de vos aventures au Vietnam et ailleurs peut-être…
A bientôt !
Bravo, bravo, j’ai hâte de vous revoir. Un grand merci d’avoir partagé tous vos moments pendant ce long périple. Je vous embrasse, et vous dit à très bientôt pour une nouvelle aventure avec Les Moissons Rock, je l’espère. Bises, Fred.
Bouououououuo !!!!, Snif….Mais, quel beau cadeau que ce partage de votre aventure…Quelles émotions vous avez dû ressentir en foulant cette plage !
Je garderais le souvenir du moment de vous lire que j’ai beaucoup apprécié, durant tout votre périple. C’était mon petit voyage perso pour un peu vous accompagner…Et puis, ce moment magique des retrouvailles au pas de ma porte…Cela aussi, ce fut un merveilleux moment, vous étiez là, simplement, les héros ce cette aventure que j’ai suivi avec passion, et j’ai pu vous serrer dans mes bras… Merci aussi pour cela.
snif, c’est fini… :'(
mais quelle fin!!!! les photos des rizières, des fleurs, des forets de bananiers et autres arbres exotiques (du moins pour nous… là bas, c’est tout à fait normal!) sont superbes!
j’aime beaucoup aussi la séance de funambulisme pour passer du bateau au quai! (même pas peur en effet… surtout vu l’état de l’eau sous l’amarre!)
et toujours de beaux portraits pour compléter le tout!
A bientôt.
bises
Quelle expérience!!!on vous tire bien bas notre chapeau….bravo pour votre courage, vos superbes photos, vos commentaires souvent émouvants avec touts ces belles rencontres ; les BD de Mariette bien parlantes, sommes fiers d’être un peu vos « vieux »amis.
Peut-être à bientôt où vous savez, profitez bien de vos trois semaines de tourisme ordinaire pour être en forme pour revenir en France .
Ca n’est pas du tout la fin, mais le début 😉 (comme Compostelle, le chemin commence quand on rentre)
Bon atterrissage à vous !
2 kg hé bah dis donc! En tout cas vous avez dû voir des choses magnifiques! Dommage qu’on ne puisse pas camper dans ce pays!
C’est vraiment super et superbe , vous n’avez pas froid aux yeux mais l’expérience est là ; on vous lit comme un roman , et quelles photos …
A bientôt
Sophie et Bertrand
Agréable récit à lire malgres ce que vous m’ avez raconté à votre retours .Que devenez vous depuis ou en etes vous ? J’attends de vos nouvelles dans ma Dordogne gros bisous mes enfants Mamie
Cregneugneu écrivé des romans vous êtes d’ un talent qui me mets sur le cu ! ! ! ! !
Je vous embrasse très fort et très sincèrement.
Vous serez toujours mes gentils fous.
A BIENTOT
Bonjour les enfants
Voilà la fin d’une belle aventure , merci de nous avoir fais participer .
Bravo c’est bien d’aller au bout de ses rêves .
Bises à vous deux et à bientôt . Mame
encore un beau récit, terni par la police et la pollution, mais illuminé par de beaux portraits et de belles photos
et voilà c’est la fin et le recommencement pour nous, comme PAPAPO quelle surprise de vous voir à la porte du bureau (et dans le garage pour d’autres!!!)…
bises et à très bientôt il n’y a plus que 500 km….
ah oui , le baiser final est digne » d’autant en emporte le vent » quelle pose …
Bravo pour votre récit. Tellement incroyable (et complètement fou 🙂 ) votre projet! C’est excellent de vous lire car mon amie et moi, nous nous retrouvons dans votre expérience, vos ressentis… Merci pour tout.
Voilà le Delta que j’aime, ma région préférée du Vietnam. Je viens de retrouver les sourires rencontrés au fil des ballades, pour nous, c’était en scooter 😉
Que cette région est attachante ! Les photos sont superbes.
Prenez soin de vous