Au cours de l’été 2019, nous avons eu l’occasion de passer quelques jours perchés à 1842m sur les hauts plateaux du Vercors dans la bergerie de David et Marie-amande, un couple d’amis bergers. Ces quelques jours en totale autonomie, coupés du monde et de toute forme de communication moderne furent l’occasion rêvée pour laisser divaguer nos âmes et reposer nos corps, tout en affutant notre œil pour capturer l’essence de ce monde irréel et poétique au rythme des nuages, des lumières, et des moutons…
A l’approche du Vercors
Notre train nous dépose à la gare de Clelles-Mens, au sud de Grenoble, terminus d’une de ces nombreuses petites lignes de chemin de fer menacées de fermeture par la bêtise des politiciens, favorisant l’extinction à petit feu de la vie campagnarde.
Il est midi, nous sommes les seuls à y descendre. Alors que nous remplissons nos bouteilles d’eau dans sa cuisine, le chef de gare nous partage son inquiétude à propos de l’avenir de cette station dont les quais ont en partie été transformés en potager : « Aller à Grenoble en voiture aujourd’hui c’est devenu mission impossible. Et si jamais on arrive à y entrer à travers les bouchons, le prix du parking est exorbitant. Beaucoup de gens des campagnes prennent le train pour aller bosser ou sortir le weekend. S’ils ferment la gare, comment allons nous faire ? ». En effet le parking est plein… Logique politique VS. réalités de la vie.
Songeant à cette problématique que nous ne connaissons malheureusement que trop bien dans notre campagne normande, nous nous mettons en chemin vers notre destination finale. Il nous reste encore plusieurs heures de marche pour atteindre la bergerie de Chamousset où nous devons retrouver les copains. Nous jetons un coup d’œil lointain à notre objectif : la marche est haute. Les murs du plateau du Vercors se dressent devant nous. Impressionnante forteresse naturelle dont les remparts imprenables s’élèvent abruptement des champs vers le ciel. Comment allons nous grimper cela ? Les instructions de Marie-Amande pour rejoindre la cabane, griffonnées sur un bout de papier, sont dignes d’un jeu de piste pour retrouver des résistants dans le maquis. Nous comprendrons vite pourquoi le Vercors fut d’ailleurs un foyer de résistance important durant la Seconde Guerre Mondiale.
Tout d’abord, nous prenons la direction de Chichilianne à quelques kilomètres de là, dernière bourgade avant de commencer la montée vers les haut-plateaux. Celle-ci est construite aux pieds du majestueux Mont Aiguille se dressant fièrement comme une tour de garde dans la muraille du Vercors. Notre sac est chargé d’une bouteille de calva normand, et d’un rhum sud-américain. Nous y rajoutons du saucisson et du fromage ! Nous pensons au moral des copains : lorsqu’on vit 5 mois coupés du monde, on apprécie les petits plaisirs de ce genre !
Alors que nous buvons une petite bière avant de reprendre la route (eh, oui, c’est bon pour les muscles il parait !), un couple d’habitants nous demande où nous allons. Nous leur expliquons nos plans : monter par le Pas de l’Aiguille, puis suivre les instructions de nos amis. Mais il fait excessivement chaud aujourd’hui, et le couple nous conseille de passer par le Pas de l’Essaure, un peu plus raide mais nous permettant une progression à l’ombre dans la forêt. Vendu ! On change de plan ! A nous le Vercors, nous voilà les copains !
Ascension du Pas de l’Essaure vers les hauts-plateaux du Vercors
Nous longeons d’abord un bout de route se transformant rapidement en une piste forestière cahoteuse, traversons une rivière asséchée et pénétrons dans les bois. Quelques centaines de mètres plus loin le chemin se détache de la piste, bifurquant plus en profondeur dans la forêt et surtout grimpant plus haut vers les plateaux. Un peu plus raide. C’est ce qu’avait dit le type au village. Ah ! Il n’avait pas menti, le bougre ! Pour être raide, c’est raide. Nos poumons s’échauffent tandis que notre souffle s’écourte. Nos jambes sont lentes, fatiguées de notre première moitié de saison de photographes de mariage et de notre manque d’exercice depuis notre dernier trek dans les Balkans. Ou bien est-ce à cause de notre fâcheuse tendance à être de vils gourmands et à s’enfiler de bons gueuletons dès qu’une occasion se présente ?
Le paysage se dégage après quelques litres de sueurs transpirés kilomètres, des trouées dans la canopée offrent des cadres naturels à une toile peinte par Dame Nature elle-même : grandes étendues de pins, vallons, et montagnes alpines du Parc national des Écrins dans le fond.
Au bout de 3h de grimpette, la pente s’aplatit et nous passons une barrière électrifiée, premier signe de la présence de troupeaux dans cette zone. Sommes-nous enfin arrivés ? Oui, et non. Nous sortons des sous-bois pour poser le pied sur le plateau du Vercors. Nous sommes au Pas de l’Essaure, et devant nous s’étend la vallon de Combeau dans lequel paissent tranquillement des vaches et leurs petits. La beauté du panorama qui s’ouvre devant nous nous subjugue : une longue vallée parsemée de pins et de vaches s’étend entre le bord du plateau et un long promontoire rocheux, dessinant un corridor couvert d’une herbe d’un vert puissant…
Un rapide coup d’œil au GPS nous rappelle que nous ne sommes pas encore arrivés ! Il faut traverser cette vallée, passer derrière le promontoire et grimper encore un peu pour atteindre la bergerie de Chamousset où nous pourrons attendre nos amis partis avec leurs bêtes pour la journée. Allez en route !
Bien évidemment, comme à notre habitude, nous prenons le mauvais cap. Vous commencez à bien nous connaitre maintenant, vous vous doutiez bien que cela devait arriver :). Pas de panique, nous bifurquons et coupons à travers les pâtures en faisant attention aux gouffres qui parsèment le plateau du Vercors. Nous nous retournons pour jeter un dernier regard depuis les hauteurs sur ce magnifique vallon de Combeau avant de reprendre le cap vers la bergerie et les vastes étendues de pâturages.
Le grand promontoire rocheux, vu de profil maintenant, adopte un air de petit sommet non sans rappeler d’une certaine manière les montagnes africaines du Roi Lion. Nous le surnommerons pour la durée de notre séjour le Sommet d’Afrique, car il sera notre compagnon quotidien. Nous le photographierons sous tous les angles ! Il sera aussi notre repère pour nous orienter lorsqu’il faudra rentrer à la maison. En effet, la bergerie est juste là, cachée dans un petit recoin avec une vue sur ce joli caillou. Au loin nous apercevons du mouvement dans les collines. Un troupeau, 2 bergers et 2 chevaux en vue ! Ce doit être nos amis qui rentrent à la bergerie, nous avons un peu trainé en route…
Sur les plateaux du Vercors, au dessus des nuages
Nous voilà maintenant adaptés depuis plusieurs jours au rythme des brebis. Nos journées commençant à l’aube, nous avons tout le loisir de photographier les larges plateaux herbeux dès les premières lueurs du jour alors que nous accompagnons nos amis dans leurs manœuvres avec le troupeau. Si ces moments sont fantastiques pour capturer les moments de la vie de berger, le reste de la journée, souvent à partir de l’heure de la chaume, est idéal pour s’intéresser aux paysages et gambader autour du troupeau ou de la bergerie lorsque nous ne partons pas trop loin.
Le Vercors, probablement averti de notre présence, en profite pour dévoiler tous ses charmes aux deux photographes que nous sommes. D’abord, il se mit en lumière sous les rayons brillant de milles feux de l’astre solaire. Mais c’était trop simple. Il nous en fallait plus. C’est un beau matin, alors que nous rejoignons David et le troupeau non loin du Pas de l’Essaure, que nous découvrons le côté montagnard du Vercors : ce matin il s’est paré d’une robe cotonneuse d’un blanc éclatant. Le troupeau broute sur les bords du plateau, à quelques mètres de ces hautes falaises qui plongent la tête en avant vers la vallée. En face, séparé de nous par une mer de nuages, le fascinant Mont Aiguille dont nous ne voyons dépasser que le sommet plat… Le charme opère instantanément : nous avons le coup de foudre pour cet océan de ouate dont la houle s’écrase sur ces immenses rochers.
Soudain à quelques centaines de mètres de là, légèrement en contrebas sur le plateau, surgissent une mère chamois et son petit. Intrigués de voir autant d’humains accompagner un troupeau de brebis, ils marquent une pose et jettent un regard vers notre direction avant de repartir. Nous imaginons leur réaction « Tsss, les touristes se lèvent vraiment de plus en plus tôt ! Plus moyen d’être seuls pour le jogging du matin ! »
Enchantés par cette vision, nous décidons de revenir le lendemain après le déjeuner, laissant nos amis et les bêtes le temps d’une balade photographique à deux. Nous nous perchons sur le haut des falaises, pour une petite sieste, attendant la fin d’après-midi tranquillement installé sur ce bout du monde. Alors que le soleil entame doucement sa course vers l’horizon, nous émergeons de notre sommeil pour découvrir de fins voiles de nuages accrochés dans le Mont Aiguille. La vallée est encore dégagée, nous voyons Chichilliane et nous nous rendons surtout compte de la hauteur des falaises !
Les rayons du soleil déclinant commencent à colorer les nuages et à dorer la roche. C’est le moment que nous attendions ! Nous ne le savons pas encore, mais les dieux nous réservent un incroyable spectacle dont nous allons être aux premières loges ce soir. Signe que la magie d’hier est toujours là, avant que commence le grand show du coucher de soleil, une famille de bouquetins viendra brouter à quelques mètres de nous. Immobiles, nous les observons un bon moment, le regard oscillant entre le balai de danse contemporaine flottant dans le ciel face à nous et le museau des bouquetins qui se rapprochent de nous.
Les falaises du Vercors : le bout d’un monde
Pas mal pour un début non ? Mais ce n’est que le commencement ! Le décor est planté, une ambiance à la fois mystique et poétique est installée. Lorsque nous nous retournons pour suivre les bouquetins du regard, nous découvrons que l’endroit où nous nous tenions quelques minutes plus tôt est métamorphosé. Une puissante lumière jaune rase les arrêtes du Vercors, alors qu’une longue langue de brume avance doucement en léchant ce monde à demi endormi. En quelques minutes le crépuscule s’installe, le voile de la nuit monte teintant le ciel d’un bleu violacé. Les nuages eux se lovent maintenant au creux des pics, légèrement en contrebas du plateau du Vercors. Il s’agit maintenant de faire attention, la pénombre gagne petit à petit et nous naviguons à quelques mètres du vide. Un pas de travers, et c’est la chute. Plusieurs centaines de mètres de plongeon vers la vallée. SBLAF ! De grands rapaces nous narguent en flottant dans la brume tel des étendards de galions naviguant dans cet océan blanc. Nous avons l’impression de nous tenir à l’extrémité du bout du monde. La terre s’arrête abruptement au bout de ces longs plateaux d’herbe pour plonger à pic vers le néant ! Quentin s’exclame alors « Mariette ! C’est l’Extrême-Amont !!! Nous l’avons trouvé ! », faisant référence à l’extraordinaire roman « La Horde du Contrevent« , best-seller d’Alain Damasio.
Quelques minutes supplémentaires, et les nuages se ruent sur nous. Nous ne sommes pas très loin de la bergerie, mais il faut nous hâter ! Cette purée de pois pourrait devenir un véritable calvaire pour retrouver notre chemin. Nous galopons en suivant la position GPS de la cabane, mais la nature est plus rapide. Tout se passe très vite. Soudainement, nous nous retrouvons pris dans une épaisse couche de brouillard. Impossible de se repérer ! Heureusement nous ne sommes plus très loin et tombons rapidement sur une des barrières du parc de nuit. Nous n’avons plus qu’à la suivre pour trouver l’entrée qui nous mènera au sec et au chaud près du feu de bois allumé par les amis.
Les jours suivants, le Vercors nous montrera son visage tumultueux : vents et pluies viendrons battre l’herbe des plateaux, réduisant nos déplacements mais offrant d’autres perspectives, sur d’autres crêtes. Puis comme dit le vieil adage : « après la pluie le beau temps » ! Mais il est l’heure pour nous de quitter le monde des brebis pour redescendre parmi le monde des hommes, la tête chargée d’images et de songes, le cœur empli de bonheur grâce à ces beaux moments d’amitié véritable vécus ces derniers jours avec Marie-Amande et David.
M. & Mme Shoes
Créatures et détails du Vercors
La nature brute et sauvage du Vercors offre des paysages grandioses. Les rares Hommes qui peuplent le plateau y mènent une vie rude de bergers. Mais le Vercors, c’est aussi une multitude de détails, fleurs et bêtes dont voici un petit échantillon ci-dessous :
Mon massif préféré au monde… merci pour ce moment de pure magie.
Merci pour ton message 🙂
Pour nous a surtout été la découverte de la vie de nos amis bergers, mais il est vrai que ce tout petit aperçu du massif donne une sacrée envie d’y retourner et de s’enfoncer plus loin dans les montagnes ! Il y a quelque chose de magnétique avec cette région. Ce n’est qu’une question de temps, mais nous y retournerons y passer plus de temps et randonner plus loin, c’est certain !
Bonjour, Quentin et Mariette. Votre reportage sur le Vercors et la vie de berger de David et Marie-Amande est super et vos photos toujours aussi belles. Il se trouve que j’habite le Vercors qui est une merveille et que, quelques jours avant ou après vous (?), un ami et moi sommes allés passer deux jours avec les bergers à Chamousset, hauts plateaux sud, qui est la merveille des merveilles! Je me sens un peu « orpheline » de ne pas avoir vu mentionné le Grand Veymont , juste en face du Mont Aiguille et parfaitement visible sur vos photos, point culminant du Vercors et auquel tout habitant du plateau s’identifie peu ou prou. Je vous embrasse fort, prenez soin de vous.
Bonjour Marie-Neige !
Merci beaucoup pour ton message.
Ah ! Mais c’est qu’on ne connaissait pas son nom à cette montagne !
Il y a l’air d’y avoir tellement de merveilles à découvrir là-haut c’est vrai ! Il faut s’en garder un peu pour la prochaine fois que l’on y viendra 😉
Prends soin de toi également !
A bientôt