Jusqu’ici, notre voyage iranien se déroulait au cœur des villes. Téhéran, puis Shiraz nous avaient tour à tour dévoilé quelques unes de leurs merveilles. Nous avons à présent une envie pressante de nature et de grands espaces. Une petite randonnée en montagne serait notre plus grand bonheur ! Cela tombe parfaitement bien : à quelques encablures de Shiraz, se trouve un magnifique un petit village de montagne dont la réputation est aussi sulfureuse que les paysages environnant sont magnifiques. Il se nomme Ghalat.
Ghalat, un village fascinant.
Située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Shiraz, Ghalat (قلات) est une très ancienne petite cité de pierres ocres construite au pied des montagnes. Le trajet depuis Shiraz nous prend environ 1h30 en bus local. Certes le village n’est pourtant pas si éloigné, mais il faut compter avec la circulation encombrée de la grande ville, où les bouchons ne sont pas rares. Loin de l’agitation, Ghalat n’est pourtant pas un lieu ou l’on s’ennuie. Arrivés au coucher du soleil, nous sommes instantanément séduits par les murs ocres et les ruines de cette ancienne cité où se mêlent bars et auberges réhabilités avec goût, se succédant le long des rues de celle que l’on surnomme affectueusement « little Amsterdam ». Une rapide recherche sur Internet nous apprendra que la production de marijuana que l’on peut trouver alentour serait à l’origine de ce sobriquet. De cela nous ne verrons rien, ce n’est pas ce que nous sommes venus chercher. Est-ce une simple légende et une réputation sulfureuse ou une réalité cachée ? L’ambiance est résolument festive dans ce petit village où nombre d’iraniens viennent passer des moments décontractés. La musique électro s’échappe des intérieurs démontrant encore une fois à quel point l’Iran peut receler de surprises et de contrastes.
Nous découvrons les ruelles avec un plaisir grandissant, alors que le soleil couchant chauffe au rouge la montagne en arrière plan. En prenant de la hauteur, nous découvrons les étendues de toits-terrasses, d’où les habitants profitent d’une vue merveilleuse à 360°. Le paysage est déjà si aride, en ce milieu de mois d’avril… La végétation parvient tout de même avec difficulté à percer la terre orange, suivant le cours des cascades saisonnières qui se jettent des sommets de la terre repliée. On dirait que la montagne a été dressée sur la plaine par une gigantesque poche à douille. Ce parallèle appétissant nous rappelle immédiatement à des considérations plus prosaïques. Conservant la découverte de la montagne pour lendemain, nous nous dépêchons de rejoindre notre résidence du soir dans l’espoir d’y trouver un bon repas iranien ! Déjà, les odeurs de riz frit et d’aneth nous chatouillent les narines…
Randonnée dans les montagnes de Ghalat
Le lendemain, nous nous levons tôt pour profiter d’une bonne journée de marche dans les montagnes. Un jeune belge rencontré la veille au soir nous accompagne, portant au nombre de 5 notre petit groupe. Nous sommes guidés vers le début de la randonnée par un jeune local, qui assure connaître les meilleurs sentiers. Nous remontons la rivière qui traverse le village à travers un sous bois charmant aménagé en terrasses, où de nombreux visiteurs iraniens se plaisent à pique-niquer durant la journée. La rivière nous mène au pied d’une paroi abrupte d’où jaillit une petite cascade.
– À partir d’ici, il faut escalader un petit peu, mais vous verrez, c’est facile, nous annonce le jeune perse. Avec mes amis, nous montons là haut presque tous les jours ! En continuant un peu plus haut vous trouverez une magnifique cascade. Amusez vous bien !
Circonspects, nous examinons la paroi. Heu… Ça n’a pas l’air de la tarte quand même ! Alors que nous hésitons face au mur, nous voyons descendre en courant, tel des bouquetins accrochés à la montagne, trois jeunes iraniens tout à fait à l’aise, donnant la parfaite illusion d’avancer sur un chemin aussi facile qu’une promenade de santé sur le bord de la Seine ! En quelques minutes les voilà qui sautent à nos côtés en nous lançant un sourire.
– C’est à vous, les gars !
Après tout, que craignons nous ? Nous sommes plutôt bons randonneurs, nous allons nous en sortir quand même ! Piqués dans notre fierté, nous nous élançons à l’assaut de la falaise. Pour ne pas vous mentir, disons le tout net : c’est de la véritable escalade ! Persuadés que cela ne durera qu’un court instant nous poursuivons vaillamment nos acrobaties. Il nous apparaît pourtant très vite qu’il nous sera compliqué, voir impossible, de rebrousser chemin… Et l’ascension n’en finit pas ! Nous n’en voyons pas le bout et sommes assez conscients que la cime des arbres se trouvent maintenant bien loin en dessous de nos pieds, à une distance aussi vertigineuse que verticale…
Nous ne sommes pas assurés et ne sommes pas du tout équipés pour l’escalade ! Nos sacs nous déstabilisent à chaque mouvement, mon voile s’empêtre dans les rochers. Nos bras et nos jambes se couvrent de griffures. Nous nous balançons au dessus du vide, terrorisés. À cette hauteur, une chute signifierait la mort.
Au bout d’un temps infini, nous arrivons en sueur (froide !) au terme de l’escalade. Les jambes flageolantes et le cœur battant la chamade, nous prions pour réussir à trouver un autre chemin pour descendre, moins suicidaire. Grimper cette montagne sans la connaître était sans doute l’action la plus irresponsable que nous ayons jamais faite de notre vie (et nous ne sommes pourtant pas des gens sérieux). Soyez prévenus ! Il est vraiment imprudent de s’aventurer seuls sur ce chemin.
Dans notre bouillonnement d’adrénaline, nous exultons pourtant face au panorama sublime qui se dévoile sous nos yeux. De la roche ocre et sèche, crénelée par les événements et la tectonique des plaques, jaillissent des cascades d’eau fraiche abreuvant des petits bosquets d’arbres aux couleurs printanières. Des fleurs sauvages magnifiques brisent la monotonie du sol rocailleux. Nous faisons une pause dans une de ces oasis pour nous rincer de la sueur et de la poussière de l’ascension. La journée est déjà bien avancée. Au dessus de nous, la montagne grimpe encore. Que faire ?
Bien que moins ardue, la pente semble à présent beaucoup plus friable, instable, traitresse… Il n’y a pas trace d’un chemin, il faudrait donc encore une fois se déplacer au jugé sans connaître le terrain. Contre tous nos arguments, le jeune belge se lance seul dans la pente alors que nous décidons de chercher un chemin plus sûr pour descendre. Au bout de quelques minutes nous entendons un grand cri. Ça y est ! Il est mort ! Blêmes, nous faisons volte face. Non, ça va. Nous le voyons dans la distance agitant les bras au dessus de nous. Il est blessé. Quentin s’élance en le maudissant dans la pente pour lui porter secours. Espérons qu’il ne se blesse pas à son tour… Non, il redescend, trainant le belge blanc comme un linge. Son pied a été écrasé par une roche instable et prend rapidement une teinte violacée en triplant de volume. Évidement, il n’y a pas de réseau pour appeler les secours. Et il nous faut nous estimer chanceux que rien de plus grave ne nous soit arrivés ! Il faudra que le blessé redescende à pied, mais que faire si nous ne trouvons pas de chemin plus facile pour descendre ? Ce qui est sûr, c’est que nous ne pouvons pas l’abandonner à son sort, bien que notre ami Adrien soit partisan de l’achever tout de suite à coup de bûche pour le punir de ne pas avoir écouté la voie de la raison…
La descente, retour vers le village de Ghalat
La providence intervient à cet instant sous la forme d’un homme sec et brun surgissant de nulle part, portant un gros sac à dos élimé. Un regard sur le pied du jeune belge suffit à lui faire comprendre la situation. Ne partageant pas de langage commun, il nous fait signe de le suivre. En soutenant le jeune belge désespéré, nous nous lançons à sa suite. Il nous guide sur un sentier à flanc de falaise situé non loin, facile et sans heurt. Ce que nous cherchions depuis le début ! Nous pouvons à présent apprécier pleinement le paysage, sans la morsure du risque. La vallée splendide s’étale à nos pieds alors qu’un soleil implacable suit nos moindres mouvements.
Notre sauveur s’arrête un peu plus loin à l’ombre d’une paroi voutée bordant une petite rivière cristalline. « Choy ? » nous demande-t-il. C’est l’heure du thé. Il étale religieusement une couverture sur le sol et allume un feu avec les broussailles et le bois mort environnant. Bientôt une vielle théière noircie et cabossée est posée sur le feu. Pendant que l’eau chauffe, l’homme extirpe de son sac six petits verres, comme s’il savait qu’il croiserait notre route, et un énorme volume pesant bien 5 kilos. C’est le Coran. Il entame des psaumes, chantant magnifiquement. Nous comprenons alors qu’il était parti s’isoler dans la montagne pour prier et que c’est ainsi que sa route a croisé la nôtre. Nous partageons le thé fumé, saisi par sa piété et sa tranquillité. Il nous donne une prière, recopiée de sa main sur un bout de papier.
Nous reprenons la route et plus loin croisons trois jeunes gens surgissant de nulle part. La jeune fille est sans voile, sa magnifique chevelure ondulée vole au vent alors qu’elle descend la montagne comme une folle, en courant, inconsciente du danger omniprésent. Notre guide les apostrophe, les réprimande sur un ton désapprobateur. Quelle vision hallucinante ! L’Iran et ses contrastes… La jeune fille n’entend rien et rit tant et plus. Rien n’arrête sa cavalcade, pas même les appels de ses deux compagnons. Ils nous distancent bientôt alors que nous parvenons au village.
Alors que nous foulons de nouveau les ruelles pavées de Ghalat, nous remercions chaudement notre bon samaritain. Aurions-nous imaginé vivre une telle aventure en Iran ? Pas du tout. Quel pays intense… Que nous réserve donc la suite ? Quant au jeune belge imprudent, son voyage se termine ici. Il sera rapatrié demain en Belgique avec une triple fracture du pied…
Pour notre part nous mettons les voiles vers Ispahan pour y découvrir ses merveilles architecturales qui comptent parmi les plus belles d’Iran parait-il !
On ne saurait que vous conseiller d’aller découvrir la surprenante Ghalat et ses montagnes. Cela vaut sans conteste le détour, et vous laissera un souvenir inoubliable ! Mais si vous partez randonner, méfiez vous ! Veillez à bien demander le chemin le plus facile pour gravir la montagne !!!
Portraits d’Iran
Infos pratiques :
Il est possible de se rendre à Ghalat en bus depuis Shiraz ! Depuis l’office du tourisme près de la citadelle, prenez le bus 78 ou le 148, descendez au dernier stop puis ensuite prenez le bus 50 et descendez à nouveau au dernier arrêt. Il ne vous reste plus qu’a marcher un peu moins d’un kilomètre pour rejoindre le centre historique !
Woowww… je viens de découvrir votre site et vos images… Merci beaucoup pour ces évasions et ce très bel article !
Mon envie de connaitre l’Iran n’en est que décuplée !!! 😀
Merci Samuel 🙂
Nous espérons que tu assouvira cette envie car elle est bien justifiée ! Ce pays est simplement fascinant et envoutant ! Fonce y vite avant qu’il ne soit envahi de touristes ou que les politiciens n’y resèment la zizanie !
Grandiose! la couleur de la terre, les mouvements de roche, la végétation rasante et ces visages magnifiques. Merci pour ce récit fort en émotion.